Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent, à tour de rôle, leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à Mariana Mazza.

Il est 10 h 50. Le vendredi 22 juillet. Je réponds aux messages élogieux concernant mon rôle dans le film Lignes de fuite. Je n’arrive pas à sourire en les lisant. Je suis reconnaissante, mais triste.

Les gens aiment la scène où j’explose et pleure en m’adressant à mes amies.

Je replonge dans les émotions que j’ai dû aller chercher pour rendre mon jeu crédible. Des émotions douloureuses, qui ne sont pas guéries. Je pense aux nuits blanches que j’ai eues après le texto envoyé par une amie pour me dire que c’était terminé, nous deux. Aux longs paragraphes qui expliquaient cette rupture abrupte. Que je n’avais jamais vue venir.

Mon rétroviseur de l’amitié est brisé. Je ne vois pas les angles morts. Je reçois les coups et j’ai mal.

Les ruptures amicales, mes ruptures amicales, se sont faites dans la surprise. Un matin, j’ouvre mon téléphone, je lis le nom de mon amie, je souris, je lis son message, je pleure. Le manège de la culpabilité peut durer des semaines. Des mois. Une vie.

Je ne suis pas une mauvaise personne ni une mauvaise amie. Je ne sais plus ce que je suis quand je lis les raisons pour lesquelles la relation que nous avons bâtie se termine. S’effrite. Se brise. Intérieurement, je me décompose comme une feuille qui attend la prochaine saison. Le temps est long.

Je ne sais pas jouer un rôle. Je vis ce que j’ai enfoui de plus douloureux en moi. Je me rappelle les fois où les phrases : « À ce qui paraît, tu parles dans mon dos », « Je mets un terme à notre amitié », « Tu essaies de manipuler mes émotions » ont fait surface dans les dernières années. Toutes les fois où j’ai essayé de répliquer, comprendre. Et toutes les fois où la porte était fermée, verrouillée, la clé jetée et la serrure changée.

Le temps pendant lequel j’ai attendu, respecté, réfléchi en espérant, pour finalement me rendre compte que l’autre personne était partie pour ne jamais revenir. Je fais du pouce sur une route où personne ne repassera. Je vais devoir marcher longtemps.

Ce qui fait mal en amitié, ce n’est pas la rupture. C’est le silence qui est laissé en suspens. L’espoir que ça revienne, dans le vide. L’impuissance de convaincre quelqu’un que tout ce qu’elle a entendu est faux.

Ce qui fait mal quand on est un adulte, c’est que les portes se referment plus fort, plus vite et qu’il n’y a quasiment aucune chance de regarder par la fente.

Enfant, les portes n’avaient pas de serrure. On pouvait entrer, sortir, claquer la porte, mais l’ouverture était toujours présente.

Adulte, on ferme la porte en s’assurant qu’elle est barrée à triple tour. La peur que quelqu’un puisse rentrer.

Dernièrement, je me suis fait une nouvelle amie. Je ne pensais pas qu’à l’âge adulte c’était possible. Comme on est presque complètement développés et hermétiques aux nouveaux attachements, laisser entrer quelqu’un qui est au même stade de métamorphose que nous, c’est impossible.

Surtout quand les blessures de relations antérieures refont surface chaque fois qu’on a l’impression qu’on s’attache. Qu’on est charmée. Qu’on se laisse aller.

On ne perd pas des amis avec le temps, on les laisse partir vers d’autres horizons parce que la trajectoire n’est plus la même. Les conversations sont de moins en moins fluides et, une fois chez soi, couché dans son lit, lorsqu’on repense aux moments passés avec eux, on n’a pas le petit sourire espiègle qui nous rappelle les beaux moments de cet instant passé.

Je me suis fait une nouvelle amie.

J’ai eu peur au début. Je me demandais si le château de cartes qui se bâtissait au fil de nos histoires était solide ou si le coup de vent que j’appréhendais allait le bousiller.

Mais maintenant, je sais que j’ai une nouvelle amie. Et que c’est vrai.

Elle m’a donné les clés de sa maison et m’a dit de refermer la porte doucement derrière moi.