Deux tueries de masse, l’une à Buffalo (New York) et l’autre à Uvalde (Texas), ont ramené la violence par arme à feu au premier plan de la scène médiatique américaine.

Homicides, tueries, suicides, accidents : la violence par arme à feu a été responsable de plus de 45 000 morts en 2020 et peut être considérée comme un virus sociétal qui affecte en premier lieu les personnes vivant dans la précarité. Le racisme, la pauvreté et l’extrémisme exacerbent cette violence que les armes rendent plus létale.

La criminalité aux États-Unis est semblable à celle qui touche les autres pays occidentaux, mais elle y est plus mortelle. Le fait que les armes à feu, plutôt que les accidents de voiture, soient maintenant la première cause de mortalité chez les Américains âgés de 19 ans et moins rappelle la dangerosité inhérente de ces objets. Une altercation entre voisins, une rixe entre criminels ou encore les actions d’un loup solitaire peuvent causer un plus grand nombre de victimes si les protagonistes ont accès à une ou plusieurs armes à feu. La législation permissive de plusieurs États contribue également au phénomène : certains gouvernements, comme celui du Missouri, qui ont adopté des lois facilitant l’utilisation des armes à feu pour la défense personnelle ont vu leur taux d’homicide augmenter.

Photo Ashlee Rezin Garcia, archives Associated Press

La violence par arme à feu a été responsable de plus de 45 000 morts aux États-Unis en 2020.

L’arme, symbole de statut et outil

Depuis le début des années 2000, la protection a remplacé le loisir comme principale raison de se procurer une arme à feu. Ce besoin engendre un Catch-22 chez les propriétaires d’armes : l’individu s’arme parce qu’il doit se protéger des gens qui sont armés. Plus il y a d’individus armés, plus le besoin d’être prêt à se défendre augmente. Cela se traduit par un état d’hypervigilance dans lequel la recherche de menaces –réelles, potentielles, imaginaires – augmente les risques de violence. L’affaiblissement du cadre législatif dans plusieurs États depuis les 30 dernières années accentue ce besoin de protection individuelle puisqu’il est relativement facile de se procurer des armes à feu. Dans le même ordre d’idées, l’individu s’équipe d’armes de plus en plus performantes, mais est conscient que celles-ci sont aussi accessibles à ceux qui peuvent le menacer. Ce discours est bien entendu alimenté et instrumentalisé par l’industrie, le lobby proarmes à feu, de même que certains médias et politiciens.

Lorsqu’elle est endémique, la viralité de la violence par arme à feu se traduit également par la désagrégation des tissus urbain et social.

La peur engendre la fermeture de commerces, les emplois disparaissent et les individus se tournent vers la criminalité, faute d’occasions. Dans les communautés touchées, les enfants ont de moins bons résultats scolaires, car, bien qu’ils n’aient pas été témoins ou victimes de violence par arme à feu, les comportements de protection qu’ils ont adoptés accaparent une grande partie de leur attention au quotidien.

  • Des policiers de Chicago inspectent la scène d’une fusillade survenue le 10 mai dernier

    Photo Tyler Pasciak LaRiviere, archives Associated Press

    Des policiers de Chicago inspectent la scène d’une fusillade survenue le 10 mai dernier

  • Manifestation en 2016 à Chicago, métropole qui a connu une résurgence marquée de la violence armée dans les dernières années.

    Photo TODD HEISLER, archives the New York Times

    Manifestation en 2016 à Chicago, métropole qui a connu une résurgence marquée de la violence armée dans les dernières années.

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Des études menées à Chicago montrent que plusieurs enfants souffrent de syndrome post-traumatique, un diagnostic qui augmente chez les victimes ou témoins de violence. La peur de la létalité des armes à feu, comme un virus, affecte l’ensemble des communautés qui la subissent.

L’effet de la pandémie

La COVID-19 a exacerbé les problèmes liés à cette violence. Dès la mise en place des premières mesures sanitaires, des milliers d’Américains se sont rués chez les détaillants d’armes à feu qui en ont vendu près de 20 millions en 2020, soit 15 millions de plus qu’à l’habitude. Le besoin d’assurer sa sécurité en cas de dislocation de l’ordre public était au cœur de cette frénésie.

Le taux d’homicide en 2020 a augmenté de 35 % par rapport à 2019, du jamais vu depuis les années 1960. Et 77 % des homicides ont été commis avec une arme à feu.

Les mesures mises en place pour combattre l’épidémie ont isolé les individus. Dans les communautés vivant une plus grande précarité, les individus les plus à risque n’ont plus eu accès aux ressources qui les encadraient de manière formelle et informelle. Soudainement privés de leurs amis, familles, voisins, écoles, instituteurs, employeurs ou travailleurs de rue, ils se sont tournés vers des ressources de rechange et certains se sont retrouvés sur la voie de la criminalité.

Cet isolement, forçant parfois les individus à établir ou maintenir leurs liens sociaux par l’entremise d’écrans, a augmenté l’influence des réseaux sociaux et de l’espace virtuel. Le caractère public et permanent de ce qui s’y déroule accentue les conflits, insultes, défis ou exploits, multipliant les interactions directes et les réponses immédiates, ce qui les rend impossibles à ignorer. Les disputes virtuelles se diffusent plus rapidement et plus largement, et la rhétorique, en ligne, atteint plus rapidement des extrêmes. Tragiquement, pour certains individus, les querelles qui s’y déroulent se traduisent par de la violence dans la rue. Si une arme à feu se trouve sur les lieux d’une altercation, la probabilité que celle-ci se termine par un homicide est décuplée, particulièrement si l’arme est détenue illégalement.

Plus près qu’on pense

Photo Patrick Sanfaçon, archives La Presse

Armes illégales saisies par la police de Longueuil en 2016

Il y a environ 400 millions d’armes en circulation aux États-Unis. Le laxisme avec lequel cet arsenal est encadré par les autorités explique la contrebande qui nourrit la violence par arme à feu au Québec et au Canada. Entre 2014 et 2020, 4000 armes ont été saisies à la frontière canado-américaine. Cela ne représente qu’une fraction de la contrebande. Pour la période 2018-2019, le Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives a confirmé la provenance américaine de 7294 armes trouvées sur des scènes de crime canadiennes.

Pour aller plus loin

Les suggestions de Francis Langlois

  • Didier Combeau, Des Américains et des armes à feu. Démocratie et violence aux États-Unis, Belin, 2007.
  • Philip J. Cook et Kristin A. Goss, The Gun Debate, What Everyone Needs to Know, Oxford U. Press, 2020.
  • Michael Kirk, « Gunned Down : The Power of the NRA », Frontline, PBS, 2015, et « NRA Under Fire », Frontline, PBS, 2020.
  • Francis Langlois, « Les États-Unis : épicentre du trafic d’armes en Amérique », Les grands dossiers de Diplomatie 66 (mars-avril 2022).