Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent, à tour de rôle, leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à Matthieu Pepper.

Septembre 2002, fin de semaine de la fête du Travail, fin de semaine où on en profite toujours pour célébrer mon anniversaire autour d’une volumineuse marmite remplie de blé d’Inde qui sert d’entrée aux meilleurs burgers que Saint-Eustache a connus : ceux de mon père.

Septembre prend place, les bégonias et les capucines tapissent les plates-bandes, les lilas s’éteignent tranquillement pendant que les autos de la visite s’accumulent dans la rue.

Comme dans toute bonne banlieue, les convives arrivent directement par le côté de la maison, les sacs cadeaux frottent contre la haie de cèdres, qui clôture l’entrée de la cour, ça sent le délicat mélange « crème solaire et chasse-moustiques ». Mes grands-parents arrivent les mains vides. C’est excitant parce que ça veut probablement dire que le cadeau est trop gros et qu’ils l’ont laissé dans la voiture.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Matthieu Pepper

Je suis toujours perplexe avec les cadeaux, j’aime ça et j’haïs ça en même temps parce que tout le monde te regarde avec des attentes face à ta réaction.

« T’es-tu content ? »

« T’es sûr ? »

« On aurait dû prendre l’autre, je le savais ! »

Respire, je n’ai même pas passé à travers le papier de soie du Dollarama encore.

Mon père est au gril, mon frère l’assiste, ma mère crie que le timer a sonné et mon père répond qu’il n’a pas besoin d’un timer. Rien de nouveau au 267, rue des Patriotes.

Le bruit des glaçons qui baignent dans la sangria trop forte et qui cognent sur les verres de plastique se glisse entre les éclats de rire et la radio qui pousse La bohème d’Aznavour. Le repas était délicieux, à peine le temps de s’enlever le maïs de coincé entre les dents que la fameuse tarte à la crème glacée et au beurre d’arachide de ma mère arrive devant moi, la mèche des bougies brûle, la cire glisse, le feu de Bengale pétille de plein feu, le « bonne fête » est chanté, en français et en flamand, pour mon grand-père, et hop le temps des cadeaux.

Rapidement, mon grand-père disparaît et réapparaît encombré d’une grosse boîte.

Je l’ouvre et découvre une télé cathodique d’une marque que je ne suis pas sûr de connaître... Kitachi ou quelque chose du genre.

« Hein ! ? Pour moi ? »

« On l’installera dans ta chambre, ce sera ta télévision à toi. »

« Mais il va y avoir des règles ! »

Ma mère pis ses règlements.

À cause de la chaleur accablante et des incalculables glucides du festin festif, les « Bon ! » et les « Va falloir penser à faire un boute » ont commencé à se faire entendre. Ce n’est jamais mon moment préféré, ça, j’ai tellement de difficulté avec les fins. Pourquoi on arrête ! ? Tout le monde a du fun !

Une chance que j’avais ma nouvelle télé pour compenser.

Elle était maintenant en place, sur son trône (ma commode), sous la petite fenêtre de sous-sol qui donne sur les dernières branches du lilas familial. Un lilas que mes parents ont planté en se disant probablement une phrase du genre « Ce lilas sera à l’image de notre famille, parfois en fleurs, parfois terne mais toujours debout et prometteur bla bla bla ». Reste que j’aimais beaucoup ce lilas.

« Je peux écouter ce que je veux, changer de poste quand je veux. » Bon, je vais devoir me lever chaque fois, parce que mon grand-père a acheté la télévision au marché aux puces et le « vendeur » avait perdu la manette.

Tranquillement, la télé devenait vraiment importante pour moi. Pas l’objet, mais ce qu’elle me faisait.

Je riais en écoutant le capitaine Charles Patenaude discipliner Bob et Flavien, j’adorais regarder Denis et Germain se partager une petite frette, je trouvais que môman et pôpa étaient le couple idéal.

J’avais plein d’amis déjà, mais eux, ils étaient là où les autres ne pouvaient pas être.

J’ai assisté aux histoires d’Annie, de Carlos, de Jean-Michel et Yannick, du National, de Sylvie et Guy, d’Anne, Johnson, Dufour et Mayrand. Ils m’ont fait rire, ils m’ont fait du bien, c’est peut-être con à dire, mais je les ai vraiment aimés.

Chaque année, j’espérais que quelqu’un écrive d’autres récits, qui pourraient me donner l’envie d’acheter une montre bleue avant même d’avoir quoi que ce soit à fuir, qui me tireraient la larme avec Still Loving You, un récit avec des répliques qui ponctueraient mon quotidien à jamais.

Et il y en avait toujours.

Au fil des années, chaque fois que je voyais le lilas faner en même temps que l’été, je savais que c’était le début de nouvelles histoires, de nouveaux personnages, de nouvelles fins.

Je n’aime pas les fins sauf quand elles annoncent quelque chose de beau.

Les lilas sont morts mais la télé est bien vivante.

Qu’en pensez-vous ? Exprimez votre opinion