Pauline Marois est passionnée, optimiste. Et elle continue à défendre, sans relâche, deux de ses grandes causes : l’avancement des femmes et la promotion du français.

Pauline Marois répond à mes questions, enjouée, pendant plus d’une heure trente. « Je suis une amoureuse de la vie et une boulimique de tout », me raconte celle qui demeure la seule femme ayant été première ministre du Québec (de 2012 à 2014).

Huit ans après sa sortie de la politique, elle ne manque pas de projets. Entre autres, l’ex-cheffe du Parti québécois préside une campagne auprès de grands donateurs pour la Fondation pour la langue française. La mission de la Fondation est de promouvoir le français comme langue commune, en plus de contribuer à la francisation des nouveaux allophones.

Elle est aussi porte-parole du jury de Forces Avenir, qui vise à honorer l’engagement des étudiants, du secondaire à l’université.

Loin de s’en désoler, Pauline Marois croit que la controverse entourant l’unilinguisme du PDG d’Air Canada, Michael Rousseau, a été une bonne chose.

Je trouve qu’il nous a rendu service. Je peux vivre au Québec sans parler français, ça a choqué tellement de monde. Ce sont des situations qui sont provocatrices, qui amènent des gens à s’éveiller et à se dire : ça n’a pas de bon sens.

Pauline Marois

L’ex-politicienne, qui aura bientôt 73 ans, juge qu’il était urgent que soit revue la loi 101, dont la réforme vise notamment à élargir l’exigence du français aux PME de 25 à 49 employés.

Elle me raconte avoir rencontré le PDG de SNC-Lavalin, Ian Edwards, qui a dit, dans une conversation en anglais, être conscient de l’importance du français. « C’est un très chic type, qui était un peu nerveux de nous rencontrer. Il est très conscient qu’il y a un chemin à faire. »

Mais qu’en est-il du désintérêt des jeunes ? « On ne devra jamais lâcher sur la langue, jamais. Je reste convaincue que malgré les embûches, on est capables de se tenir debout et de continuer de parler français au Québec », dit Mme Marois, ravie de voir des jeunes chanter du rap en français.

Et le projet d’indépendance, qui vacille ?

Je crois toujours que nous devrions avoir un pays, être indépendants. Ce n’est pas parce que l’idée n’est pas au goût du jour qu’elle n’est pas bonne. On existe comme peuple, comme nation, avec nos différences, notre histoire, notre culture, mais ce sont des projets qui prennent du temps.

Pauline Marois

L’entrevue se déroule par le truchement de Zoom, entre ma résidence de Laval-des-Rapides et son condo familial de Nuevo Vallarta, sur la côte pacifique du Mexique, où elle passe une partie de l’hiver. Elle me parle brièvement de ses quatre enfants de 36 à 42 ans et de ses huit petits-enfants – la chanceuse ! – de 1 an à 10 ans.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Pauline Marois nous parlait en direct de son condo familial de Nuevo Vallarta, sur la côte pacifique du Mexique, où elle passe une partie de l’hiver.

La discussion part en lion sur la présence des femmes en politique et plus généralement, sur l’importance des femmes et leur apport, différent, dans la gestion des organisations.

L’automne dernier, Pauline Marois a été présidente d’honneur d’un colloque sur le parlementarisme féminin au Québec et en France. Au Québec, l’Assemblée nationale est maintenant en zone paritaire (42 % des députés sont des femmes), ce qui n’est pas encore le cas en France (35 %).

« Notre chemin parcouru est formidable. »

Selon elle, la présence grandissante des femmes a eu un effet considérable sur les politiques publiques. Elle mentionne la politique familiale et ses places en garderie à contribution réduite – dont elle est la conceptrice – mais aussi la Loi sur l’équité salariale, ou celle sur le patrimoine familial.

« On ne peut pas se priver de 50 % de notre intelligence collective », dit-elle.

« Les femmes cherchent le consensus »

Bien qu’elle cite Simone de Beauvoir – on ne naît pas femme, on le devient –, elle croit que les femmes sont fondamentalement différentes. « Je pense que les femmes cherchent plus le consensus, alors que les hommes ont une attitude plus guerrière. Ce n’est pas absolu, mais de façon générale, les femmes veulent essayer de rallier sans contraindre », dit-elle.

Par exemple, elle dit avoir été à l’écoute des suggestions de la libérale Monique Jérôme-Forget, notamment, lors de la création de l’Autorité des marchés financiers (AMF), dans les années 2000.

Elle donne aussi l’exemple du ralliement obtenu par la députée Véronique Hivon sur l’aide médicale à mourir. Autre exemple, les trois femmes de trois partis différents qui unissent leurs efforts dans leurs critiques en éducation : Marwah Rizqy (Parti libéral), Véronique Hivon (Parti québécois) et Christine Labrie (Québec solidaire).

Elle constate toutefois que la pandémie a été dure pour les femmes, qu’il y a encore le grand problème de la violence faite aux femmes et qu’il subsiste un écart de rémunération avec les hommes.

« Les femmes ont souvent le sentiment d’imposture. Et à cause de ce sentiment d’imposture, nous ne négocions pas nos conditions [de rémunération] », avance-t-elle.

Elle est tout à fait d’accord pour dire que les femmes dirigeantes devraient aussi s’inspirer du comportement des hommes à certains égards, se faire des mentors masculins, puisque les hommes sont plus nombreux à avoir occupé des fonctions importantes.

Habituellement, les femmes réussissent mieux, mais elles prennent moins de risques, ce qui explique cela. On a tendance, les femmes, à vouloir que tout soit parfait, on a le syndrome de la première de classe : si on n’a pas toute l’information, on n’osera pas y aller. Or, quand tu veux faire grandir une entreprise, faire des investissements, il faut que tu en prennes, des risques.

Pauline Marois

Son engagement envers les femmes dépasse nos frontières. Elle a été ambassadrice du Centre d’étude et de coopération internationale pour appuyer un projet porté par des femmes du Burkina Faso, qui ont créé une entreprise d’étuvage de riz. L’expérience se poursuit au Bénin.

Elle appuie par ailleurs la création d’un opéra pour la pièce Albertine en cinq temps, de Michel Tremblay.

Une passionnée, que je vous disais. Et une leader qui sert de modèle pour bien des femmes, mais qui pourrait aussi jouer le rôle de mentor, désormais, pour les hommes qui gravissent les échelons. N’est-ce pas le signe d’une ère nouvelle ?

Questionnaire sans filtre

Le café et moi : Un bon café au lait que je sirote jusqu’au fond de la tasse.

Recevoir à ma table : Michelle Bachelet, ancienne présidente du Chili, Gro Harlem Brundtland, ancienne première ministre de la Norvège ou l’écrivaine Marie Laberge, des personnes que j’ai déjà rencontrées.

Le matin idéal : Une journée sans obligation. Je prends un long petit-déjeuner avec mon amoureux et complice Claude (Blanchet) et nous causons de conjoncture, de politique, d’économie, de nos enfants et petits-enfants avec journaux (tablette) et revues étendus devant nous. Du pur bonheur.

Théâtre : Toute l’œuvre de Robert Lepage, dont Courville et 887. Et bien d’autres auteurs.

Lecture : J’adore les polars. J’ai lu presque toutes les œuvres de John le Carré, de Henning Mankell, de Michael Connelly, de Fred Vargas et de Martin Michaud.

Mes derniers coups de cœur québécois : Kukum (Michel Jean), La femme qui fuit (Anaïs Barbeau-Lavalette), Em (Kim Thuy)

Qui est Pauline Marois ?

  • Née en 1949 dans le quartier Limoilou, à Québec, dans une famille modeste, elle a grandi dans un village aujourd’hui fusionné à la ville de Lévis.
  • Elle a étudié en service social à l’Université Laval, puis à HEC Montréal (MBA).
  • Elle a été cheffe du Parti québécois de 2007 à 2014 et première ministre du Québec de 2012 à 2014, la seule femme ayant occupé ce poste à ce jour.
  • Durant sa carrière, elle a dirigé neuf ministères, le plus grand nombre de l’histoire du Québec.
  • Depuis qu’elle a quitté la vie politique, elle a reçu trois doctorats honorifiques (Université Laval, Université du Québec en Outaouais et HEC Montréal). La Fédération des cégeps lui a aussi remis le prix Guy-Rocher pour sa contribution à l’éducation québécoise.