(La Haye ) Les réseaux de métro posés sur des structures aériennes peuvent-ils bien s’insérer dans le cadre bâti d’une ville ? La Presse s’est rendue à Copenhague, à La Haye et à Paris pour visiter trois des « inspirations » évoquées par CDPQ Infra pour son projet montréalais du REM de l’Est. La réponse est : oui… dans certains contextes précis.

La Haye avait des tramways, de vieux trains de banlieue et deux quartiers à revitaliser. La ville néerlandaise et son voisin Rotterdam ont uni leurs forces au début des années 2000 pour créer un imposant réseau de transport collectif intégré. La portion la plus spectaculaire est une structure aérienne futuriste de 400 m que tout le monde ici appelle Netkous – le « bas résille ».

Connecter des réseaux

Après une décennie de discussions et un premier projet avorté, la décision a été prise en 2001. Les autorités ont décidé de convertir des dizaines de kilomètres d’anciennes lignes de tramway et de trains de banlieue dans la grande région de La Haye pour y faire passer un tram-train. Ce type de véhicule peut circuler sur des rails au niveau de la rue et à plus haute vitesse dans des voies réservées, qu’elles soient surélevées ou en tunnel. En lisière du centre-ville, il fallait créer une nouvelle connexion d’environ un demi-kilomètre pour relier deux segments de l’ancien réseau. Deux questions cruciales se sont alors posées : où passer et, surtout, comment ?

Le tracé aérien

PHOTO BERT MELLINK, COLLABORATION SPÉCIALE

Vue aérienne de la Beatrixlaan, artère principale du quartier Bezuidenhout, peu avant la construction du Netkous

Le choix s’est arrêté sur Bezuidenhout, un secteur assez dévitalisé où se trouvaient des immeubles de bureaux datant surtout des années 1960 et 1970. « Le quartier avait vraiment besoin d’un coup de barre », résume Robert van Asten, adjoint au maire et responsable de la mobilité, rencontré par La Presse à La Haye. Les autorités ont étudié la possibilité d’un tunnel, mais la très large Beatrixlaan, l’artère principale de ce quartier, se prêtait à un tracé en hauteur. L’idée de faire un projet flamboyant a germé. « On aurait pu faire une structure générique en béton posée sur des piliers, mais on voulait ajouter une qualité architecturale à tout le quartier », dit Erik Beenen, l’un des principaux dirigeants de HTM, l’agence publique responsable des transports en commun à La Haye.

10 scénarios étudiés

PHOTO MAXIME BERGERON, LA PRESSE

Ralph Kieft, architecte du cabinet néerlandais ZJA, a dessiné le « bas résille », l’un de ses premiers projets en carrière.

Ralph Kieft, architecte du cabinet néerlandais ZJA, était en début de carrière lorsqu’on lui a confié ce mandat. Dessiner une structure aérienne de presque un demi-kilomètre sans créer un effet oppressant sur la rue a constitué son principal défi. « Il y avait de grandes craintes de la municipalité de La Haye que la ville soit coupée en deux », se rappelle-t-il. De nombreux ateliers ont été organisés entre les architectes, la Ville et les entreprises logées de part et d’autre de la future structure pour entendre leurs idées et inquiétudes. Une dizaine d’ébauches du projet ont été réalisées. La version choisie en 2002 est « une structure élégante qui rappelle un bas résille », souligne M. Kieft.

Un alligator dans un boa

PHOTO FOURNIE PAR ZJA

Vue aérienne du projet. La section centrale, qui semble « enflée », renferme la station de tram-train Beatrixkwartier. Comme si un boa avait avalé un alligator.

À quoi ressemble la chose, sur le terrain ? Le Netkous est une structure tubulaire de 400 m qui comprend dans sa portion centrale la station de tram-train Beatrixkwartier. Cette section est plus large, comme si un boa avait avalé un alligator. L’usage d’anneaux en acier a permis d’espacer au maximum les piliers de béton – entre 30 et 50 m – afin de dégager la vue pour les piétons et les cyclistes. Les trains circulent sur deux étroites travées séparées l’une de l’autre, ce qui permet à la lumière de passer entre les deux, souligne Ralph Kieft pendant une visite de son projet. La caténaire – les fils qui alimentent les trains – a aussi été cachée dans la structure pour en améliorer l’esthétisme. « La transparence de la structure aide à rendre ça à échelle humaine, dit-il. Si c’était une grosse structure bétonnée, ce serait complètement différent. »

Des conditions propices

  • La nature surtout commerciale du quartier et la largeur importante de la rue (environ 50 m) ont permis de bien y intégrer la structure, souligne Erik Beenen, de HTM.

    PHOTO MAXIME BERGERON, LA PRESSE

    La nature surtout commerciale du quartier et la largeur importante de la rue (environ 50 m) ont permis de bien y intégrer la structure, souligne Erik Beenen, de HTM.

  • L’intersection où le Netkous vient rejoindre l’ancienne ligne de tramway convertie au tram-train. La structure vue sous cet angle reste assez massive, malgré tous les efforts déployés pour tenter de l’intégrer.

    PHOTO MAXIME BERGERON, LA PRESSE

    L’intersection où le Netkous vient rejoindre l’ancienne ligne de tramway convertie au tram-train. La structure vue sous cet angle reste assez massive, malgré tous les efforts déployés pour tenter de l’intégrer.

  • La jonction entre la fin du Netkous et une autre ligne. Les autorités municipales ont choisi de laisser une place importante aux piétons et aux cyclistes.

    PHOTO MAXIME BERGERON, LA PRESSE

    La jonction entre la fin du Netkous et une autre ligne. Les autorités municipales ont choisi de laisser une place importante aux piétons et aux cyclistes.

  • Les trains circulent sur deux étroites travées séparées l’une de l’autre, ce qui permet à la lumière de passer entre les deux. On peut voir que la structure commence à montrer quelques signes de vieillissement, 15 ans après son inauguration.

    PHOTO MAXIME BERGERON, LA PRESSE

    Les trains circulent sur deux étroites travées séparées l’une de l’autre, ce qui permet à la lumière de passer entre les deux. On peut voir que la structure commence à montrer quelques signes de vieillissement, 15 ans après son inauguration.

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S’il est flamboyant et apprécié des résidants, le « bas résille » n’aurait pu être construit dans n’importe quel contexte urbain, souligne Erik Beenen, de HTM. La nature commerciale du quartier – renommé depuis Beatrixkwartier – et la largeur de la rue (environ 50 m) ont permis de bien y intégrer la structure, précise-t-il. Les autorités en ont profité pour faire une place importante aux piétons et aux cyclistes, et réduire celle vouée aux automobiles et au stationnement. Quinze ans après sa construction, le Netkous fait encore tourner les têtes. Deux touristes asiatiques le prenaient en photo, un soir de novembre, alors que la rue était presque déserte (comme la plupart des soirs). La structure inaugurée en 2006 a coûté à l’époque 80 millions d’euros (115 millions de dollars canadiens).

Aussi… un tunnel

  • Jusqu’au début des années 2000, la Grote Marktstraat, dans le cœur historique de La Haye, était occupée par les automobiles et les tramways, et peu invitante.

    PHOTO FOURNIE PAR HAAGS GEMEENTEARCHIEF

    Jusqu’au début des années 2000, la Grote Marktstraat, dans le cœur historique de La Haye, était occupée par les automobiles et les tramways, et peu invitante.

  • Les autorités de La Haye ont décidé de construire un tunnel de 1,25 km pour y enfouir le tram-train, et ont piétonnisé du même coup cette rue. C’est devenu l’artère la plus achalandée en ville.

    PHOTO PAUL LUNENBURG, FOURNIE PAR HAAGS GEMEENTEARCHIEF

    Les autorités de La Haye ont décidé de construire un tunnel de 1,25 km pour y enfouir le tram-train, et ont piétonnisé du même coup cette rue. C’est devenu l’artère la plus achalandée en ville.

  • Les autorités ont construit un étage de stationnement entre la rue (Grote Marktstraat) et le tunnel de 1,25 km où circule le tram-train, dans le cœur historique de La Haye.

    PHOTO MAXIME BERGERON, LA PRESSE

    Les autorités ont construit un étage de stationnement entre la rue (Grote Marktstraat) et le tunnel de 1,25 km où circule le tram-train, dans le cœur historique de La Haye.

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En même temps qu’elles construisaient le Netkous, les autorités ont creusé un tunnel de 1,25 km et deux stations souterraines non loin de là, dans le centre historique de La Haye. Au début des années 2000, la Grote Marktstraat était encombrée par les automobiles et les tramways. La rue était sale et un peu glauque, se rappelle Erik Beenen, de HTM. Le passage du tram-train dans un tunnel sous la rue – et l’interdiction de la circulation automobile – a redonné vie à tout le quartier, dit-il. Les piétons et cyclistes sont tellement nombreux sur Grote Marktstraat que les autorités s’apprêtent à déplacer la piste cyclable une rue plus loin. « C’est un luxe, en fait. Le fait qu’il y a trop de piétons signifie que c’est un secteur très attrayant. » Le tunnel a coûté 236 millions d’euros (341 millions CAN) et sa construction a été parsemée d’ennuis techniques, dont une inondation en cours de chantier. Particularité intéressante : les autorités ont construit un niveau de stationnement souterrain entre le tunnel du tram-train et la rue.

Popularité immense

Le réseau de La Haye, ville de 550 000 habitants, est largement considéré comme un succès. Le nombre de passagers a été multiplié par cinq depuis que tous les vieux tronçons ont été modernisés et connectés les uns aux autres. La création d’une ligne de métro de 27 km vers Rotterdam (au niveau du sol) a aussi dynamisé l’économie de toute la conurbation de 2,7 millions d’habitants, en créant de nouveaux pôles d’habitation et d’emplois autour des gares entre les deux villes. La fréquence relativement élevée des trains – toutes les 10 minutes plutôt que toutes les demi-heures – et la fiabilité du réseau chapeauté par RandstandRail ont contribué à sa popularité, explique Niels van Oort, professeur spécialisé dans la mobilité urbaine à la Delft University of Technology. « RandstandRail, c’est devenu une marque reconnue à qui les gens font confiance, et ça joue un rôle important. »

Une inspiration internationale

  • Le gouvernement coréen a mandaté le cabinet ZJA en vue d’importer le concept du « bas résille » pour de futurs prolongements de trains légers en milieu urbain. La structure, qui se trouve à 15 m au-dessus de la rue, a été dessinée pour permettre un espacement impressionnant de 200 m entre les piliers.

    IMAGE FOURNIE PAR ZJA

    Le gouvernement coréen a mandaté le cabinet ZJA en vue d’importer le concept du « bas résille » pour de futurs prolongements de trains légers en milieu urbain. La structure, qui se trouve à 15 m au-dessus de la rue, a été dessinée pour permettre un espacement impressionnant de 200 m entre les piliers.

  • Le gouvernement coréen a mandaté le cabinet ZJA en vue d’importer le concept du « bas résille » pour de futurs prolongements de trains légers en milieu urbain. La structure, qui se trouve à 15 m au-dessus de la rue, a été dessinée pour permettre un espacement impressionnant de 200 m entre les piliers.

    IMAGE FOURNIE PAR ZJA

    Le gouvernement coréen a mandaté le cabinet ZJA en vue d’importer le concept du « bas résille » pour de futurs prolongements de trains légers en milieu urbain. La structure, qui se trouve à 15 m au-dessus de la rue, a été dessinée pour permettre un espacement impressionnant de 200 m entre les piliers.

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Couronné par des prix d’architecture, le « bas résille » a suscité beaucoup d’intérêt international. Le gouvernement coréen a mandaté le cabinet ZJA en vue d’importer le concept. Avec une demande bien spéciale : que la structure soit suffisamment robuste pour permettre un espacement de 200 m entre les piliers ! Le design du projet est en cours de développement. « Ils sont habitués à de grosses structures de béton pour leurs trains légers ; les stations sont encore pires et ressemblent à de grosses boîtes à souliers, donc ils nous ont demandé de faire des esquisses et des designs pour des prolongements du train dans différentes villes », explique l’architecte Ralph Kieft. Au Québec, CDPQ Infra a déjà mentionné la station de Beatrixkwartier comme l’une des « inspirations » potentielles pour son futur REM de l’Est.

L’avis d’un expert

Sylvain Gariépy, président de l’Ordre des urbanistes du Québec, trouve judicieux l’emploi de l’acier pour créer la structure du Netkous. « Ça permet d’avoir une portée plus longue [entre les piliers], et d’avoir quelque chose qui à la fois frappe visuellement mais est aussi plus léger. » L’autre point non négligeable, souligne-t-il, est le choix fait par les autorités d’utiliser une rue très large pour faire passer cette structure aérienne. La Beatrixlaan a une emprise d’environ 50 m, contre environ 30 m pour la rue Sherbrooke Est et 40 m pour le boulevard René-Lévesque, deux artères que le REM de l’Est doit emprunter à Montréal. Enfin, il salue la tenue d’ateliers entre les architectes, la Ville et les futurs voisins de la structure pour guider l’élaboration du projet, une démarche « ouverte et assumée ».

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