(Paris) Les réseaux de métro posés sur des structures aériennes peuvent-ils bien s’insérer dans le cadre bâti d’une ville ? La Presse s’est rendue à Copenhague, à La Haye et à Paris pour visiter trois des « inspirations » évoquées par CDPQ Infra pour son projet montréalais du REM de l’Est. La réponse est : oui… dans certains contextes précis.

« Des projets comme ça, il y en a peut-être un par siècle », dit Marie Vannieuwenhuyse, avant d’activer l’ascenseur de chantier qui nous entraînera une quinzaine de mètres sous terre.

L’ingénieure et directrice de travaux de Colas Rail nous accompagne dans l’un des nombreux tunnels en construction ces jours-ci dans le sous-sol parisien, dans la banlieue de Champigny-sur-Marne. Son groupe a été mandaté pour installer les rails, les caténaires et d’autres systèmes dans plusieurs portions du Grand Paris Express, le plus grand projet d’infrastructure en Europe. « Ça fait très plaisir de voir ça devenir concret », souligne-t-elle.

PHOTO MAXIME BERGERON, LA PRESSE

Marie Vannieuwenhuyse, directrice de travaux de Colas Rail, l’une des 4240 entreprises qui travaillent sur le chantier du Grand Paris Express

Titanesque, pharaonique, ruineux : tous les qualificatifs ont été accolés à ce mégaprojet. Après des années de débats corsés, la Société du Grand Paris (SGP) a été créée en 2010 pour doubler – littéralement – la taille du métro de la capitale. Quelque 200 km de rails et 68 nouvelles gares sont prévus ; plus de 90 % du tracé passera sous terre.

Les travaux ont progressé à bon rythme depuis le lancement des premiers chantiers de creusage, en 2018. Les sous-traitants mandatés par la SGP ont déjà percé 50 km de tunnels très profonds sous la capitale. C’est comme si les trois quarts du métro de Montréal avaient été creusés en trois ans.

Les tunnels sont percés par des tunneliers à des profondeurs de 25 à 30 m en moyenne, dans des sols très variés, et passent sous une abondance d’infrastructures existantes (conduites d’eau et électriques, lignes de métro). Certaines gares sont creusées jusqu’à 52 m sous la terre. Les seuls segments en hauteur – environ 20 km au total – seront surtout construits dans des zones agricoles ou industrielles et font encore l’objet de vives contestations.

Le mode aérien déplaît

CDPQ Infra a cité certaines gares souterraines du Grand Paris Express comme étant des « exemples d’intégration inspirants » pour son projet du REM de l’Est. La chose peut sembler paradoxale, puisque les promoteurs du projet parisien font à peu près tout ce que le groupe québécois refuse de faire : creuser des tunnels et des gares très profonds dans des milieux urbanisés où pullulent les obstacles souterrains.

IMAGE FOURNIE PAR CDPQ INFRA

La future gare du Pont de Bondy, d’une profondeur prévue de 44 m, fait partie des exemples d’intégration inspirants cités par CDPQ Infra pour le REM de l’Est au cours des derniers mois.

Ici comme à Montréal, la question des tronçons aériens a donné lieu à des débats souvent animés, reconnaît Bernard Cathelain, l’un des trois membres du directoire de la SGP, en entrevue avec La Presse.

Dès l’annonce du projet en 2010, certains architectes ont proposé de construire une portion plus importante du Grand Paris Express en hauteur, rappelle-t-il. Après tout, plusieurs segments du métro et du RER (le réseau express régional d’Île-de-France) sont déjà posés sur de telles structures surélevées dans la capitale française.

L’enthousiasme suscité par la proposition a été assez relatif, et effectivement, c’est une chose à laquelle on a renoncé très vite en milieu urbanisé, parce que ce n’est plus dans l’air du temps.

Bernard Cathelain, l’un des trois membres du directoire de la SGP

Les tronçons aériens les plus récents du métro de Paris ont été conçus « dans les années 1960 », ajoute M. Cathelain, rencontré dans les bureaux tout neufs de la SGP, à deux pas du Stade de France. « Ça ne passerait plus aujourd’hui dans les milieux urbanisés. »

PHOTO CHARLES PLATIAU, ARCHIVES REUTERS

La ligne 6 du métro de Paris a un tronçon aérien de 6,1 km – sur les 13,6 km qu’elle parcourt –, lequel passe notamment devant le ministère de l’Économie et des Finances, rue Bercy.

Pourquoi ? « La sensibilité aux questions environnementales est devenue beaucoup plus forte, et la sensibilité aux nuisances, qui sont réelles, aujourd’hui, n’est plus du tout la même, souligne Bernard Cathelain. Le fait d’avoir un métro qui passe sous ses fenêtres, ce n’est pas quelque chose qu’aujourd’hui on est prêt à accepter. »

Contestation… en zone rurale

L’objectif ultime du Grand Paris Express est de désengorger le cœur de la capitale en reliant entre elles plusieurs banlieues éloignées et les trois aéroports. De nouveaux quartiers seront construits autour des 68 futures gares, un développement bienvenu dans cette métropole de 12 millions d’habitants où le manque de logements est chronique. Plusieurs connexions sont prévues avec le réseau de transport collectif existant.

IMAGE FOURNIE PAR LA SOCIÉTÉ DU GRAND PARIS

Une carte du futur réseau du Grand Paris Express

La facture du projet atteint aujourd’hui 36 milliards d’euros (52 milliards CAN) ; presque le double des 20 milliards prévus à l’origine.

Même s’il est souvent critiqué pour ses coûts exorbitants, le projet est en général bien accueilli dans les 130 communes de la région métropolitaine qu’il va traverser. Mais pas partout.

Dans le Plateau de Saclay, une zone agricole où la ligne 18 doit passer en mode aérien, 250 universitaires, de même que des élus locaux et des agriculteurs, ont demandé l’été dernier à la SGP de renoncer à une portion du tracé, ou à tout le moins de l’enfouir. La Société a proposé un compromis, soit d’abaisser quelques kilomètres de rails au niveau du sol, ce qui n’apaise pas les craintes des opposants. Une enquête publique est en cours sur ce tronçon.

PHOTO LAURENT GRANDGUILLOT, COLLABORATION SPÉCIALE

Vue aérienne du Plateau de Saclay, situé dans le nord de l’Essonne, au sud de Paris

Sans spéculer sur l’issue du conflit, Bernard Cathelain souligne que le choix de tronçons aériens repose « très clairement » sur des considérations économiques pour la SGP. Et cela, uniquement dans des secteurs où ce mode est « compatible » avec l’environnement urbain.

« Sur une section donnée, on peut tripler le coût du génie civil en étant en souterrain, explique-t-il. Sur la ligne 18, on avait regardé ce que donnait la mise en souterrain de la partie ouest de 8 km ; on avait de 200 à 300 millions d’euros en surcoûts », explique-t-il.

Des sols très variés

Creuser coûte cher, et encore plus dans des sols mixtes comme ceux de la capitale française. On retrouve ici « à peu près tous les profils géologiques possibles », dit Bernard Cathelain. « On a des marnes, on a des sables, on a du gypse, on a d’anciennes carrières par endroits. »

PHOTO LUDOVIC MARIN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le tunnelier « Florence », utilisé pour percer la ligne 17 du Grand Paris Express, photographié en 2020 à Bonneuil-en-France, en banlieue parisienne

Malgré toutes les analyses de sols préalables, des « surprises » ont été trouvées en cours de chantier. Le dirigeant de la SGP donne en exemple la découverte récente de « blocs de grès » qui ont fortement ralenti le travail d’un tunnelier, en plus d’abîmer ses lames. À Montréal, les dirigeants de CDPQ Infra ont fait valoir que le mélange de sols meubles, de roc et de gros blocs de pierre « erratiques » ainsi que la présence de la nappe phréatique rendraient trop complexe et coûteux le creusage d’un tunnel au centre-ville.

Malgré plusieurs aléas de construction, la SGP compte inaugurer sa première ligne à temps pour les Jeux olympiques de 2024. Le reste du réseau, qui affiche des retards assez importants, sera terminé graduellement d’ici 2030 en majorité, selon les prévisions actuelles.

L’avis d’un expert

Sylvain Gariépy, président de l’Ordre des urbanistes du Québec, croit que les autorités parisiennes ont bien tenu compte des impacts potentiels d’un tracé aérien au moment de faire des choix en début de projet. « Il va sans dire que creuser comporte des risques (composition du sol variée), et il y aura toujours des surprises, ce qui est vrai pour la majorité des chantiers de construction. Si creuser peut être onéreux, et que cela peut avoir un impact sur la profitabilité du projet pour la CDPQ Infra, alors le gouvernement du Québec pourrait injecter de l’argent afin de sécuriser cet aspect. Si on est prêt à creuser le plus long tunnel routier à Québec, alors pourquoi pas pour un mode structurant du transport collectif dans l’est de Montréal ?

« Les trois principales leçons :

1. Écouter les citoyens ;

2. Être transparent ;

3. Avoir de la volonté politique. »

Lisez notre reportage : « Les hauts et les bas des structures aériennes au Danemark » Lisez notre reportage : « Un “ bas résille ”… et un tunnel aux Pays-Bas »