Qu’est-ce qu’un bon élu municipal en 2021 ? Une personne qui rassemble, qui dirige, qui écoute ? Quelqu’un qui agit, qui révolutionne, qui rassure ? Voici une ébauche de la personne idéale à travers les qualités de cinq élus qui ont fait leur marque.

Cinq maires et mairesses d’exception

À deux semaines du scrutin municipal du 7 novembre, voici cinq élus qui ont su marquer les esprits par leur engagement.

Naheed Nenshi, Calgary : celui qui rassemble

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Naheed Nenshi

Les congestions causées par les voitures coûtent des dizaines de milliards de dollars par année. Tout cela pour que des gens restent coincés tout en n’étant pas productifs. Nous devons donc corriger cela.

Naheed Nenshi

Élu maire de Calgary en 2010, Naheed Nenshi a été érigé en héros lors des inondations qui ont frappé l’Alberta en 2013. Proactif et rassurant, il est devenu une vedette lorsqu’il a été nommé « meilleur maire au monde » l’année suivante par l’organisme international City Mayors. Ce fils d’immigrés tanzaniens venus au Canada il y a une cinquantaine d’années se fait un devoir de défendre le principe de la différence sous toutes ses formes. Ses déclarations sont empreintes d’humanisme et d’authenticité. Même quand elles ne font pas l’affaire de tous. Des Québécois se souviennent d’ailleurs de sa prise de position contre la loi 21. Le maire de 49 ans travaille sans relâche à servir sa communauté. Pour lui, être maire, c’est être à l’écoute des besoins (de tous les besoins) des citoyens. Malgré son extrême popularité, il avait annoncé il y a quelques mois qu’il ne se présenterait pas aux élections municipales qui ont eu lieu le 18 octobre. C’est l’ancienne conseillère municipale Jyoti Gondek qui a été élue parmi plus de 25 candidats, devenant ainsi la première mairesse de Calgary.

Philippe Rio, Grigny, France : celui qui lutte

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Philippe Rio

La lutte contre la pauvreté est un combat collectif.

Philippe Rio

« T’es communiste et maire de Grigny, tu n’as aucune chance de gagner », a déjà dit un collègue à Philipe Rio. Pourtant, c’est à lui que les membres de la City Mayors Fondation ont décerné en septembre dernier le titre de « meilleur maire au monde » à égalité avec son homologue de Rotterdam, Ahmed Aboutaleb. C’est sa gestion de la COVID-19 qui lui a permis de réaliser cet exploit. Dans cette ville de 30 000 habitants où 50 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, Philippe Rio a lutté pour assurer à ses citoyens des repas, des masques, de même que des ordinateurs pour les élèves. Ce fils d’ouvriers, que certains qualifient de « hussard de la République », a coutume de dire : « Si on veut avancer, il faut être capable d’avoir les pieds dans la merde et la tête dans les nuages. » Élu d’abord en 2012, celui qui se bat pour la dignité humaine, le respect d’autrui et la tolérance a depuis reçu deux autres fois l’appui des Grignois.

Hazel McCallion, Mississauga, Ontario : celle qui dure

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Hazel McCallion

Je dis les choses telles qu’elles sont. Je ne me prête pas à des jeux. C’est ce qui explique mon succès, à mon avis.

Hazel McCallion

Il y a deux façons de voir la longévité d’un maire : soit l’intérêt pour la politique municipale est absent, soit celui ou celle qui est en poste comble toutes les attentes. Celle qui a été la mairesse de Mississauga de 1978 à 2014 fait incontestablement partie de la seconde catégorie. Surnommée Hurricane Hazel, cette centenaire doit sa longévité comme mairesse (elle a connu 12 mandats) à la proximité qu’elle a su créer avec ses citoyens. Originaire de la Gaspésie, cette ancienne joueuse de hockey professionnelle montréalaise dans les années 1930 a d’abord été élue à Streetsville. Celle qui avait combattu les fusions municipales a finalement contribué à faire grandir la nouvelle ville de Mississauga, notamment avec l’arrivée des Anglo-Québécois qui ont quitté le Québec lors du référendum de 1980. Elle a fait sa marque en menant des campagnes sobres et en refusant les dons. Cette travailleuse acharnée a résisté à tout, même aux accusations de conflit d’intérêts qui l’ont visée à trois reprises. Elle sera tour à tour acquittée, reconnue coupable et blanchie.

Leïla Mustapha, Raqqa, Syrie : celle qui rebâtit

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Leïla Mustapha

Lorsque nous combattions pour reprendre Raqqa à l’État islamique, nous étions le centre de l’attention internationale. Mais depuis que nous avons chassé cet ennemi, nous nous retrouvons pratiquement seuls.

Leïla Mustapha

Quand Leïla Mustapha devient coprésidente du Conseil civil de Raqqa, en 2017, la ville syrienne est un champ de ruines. Dévastée par les attaques, dont celles de novembre 2015, la ville est à refaire. Rétablir l’électricité, refaire le réseau d’eau, reconstruire les hôpitaux et les écoles, restaurer les maisons, les marchés et les commerces, la tâche était colossale. Leïla Mustapha a entrepris ce chantier « un jour à la fois ». Sa capacité à communiquer sa vision, son énergie qui lui permet de travailler de longues journées, l’écoute dont elle est capable, tout cela a permis à sa ville d’entrevoir de meilleurs jours. Dans une société où la domination masculine est puissante, cette femme kurde, syrienne, musulmane et non voilée de 33 ans a su se faire respecter et se faire entendre. Cela dit, cette reconstruction est loin d’être terminée. Les citoyens s’en remettent aujourd’hui au courage et à la détermination de Leïla Mustapha, qui a fait l’objet d’un film (9 Days in Raqqa) et d’un livre (La femme, la vie, la liberté).

Jean-Paul L’Allier, Québec : celui qui a une vision

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Jean-Paul L’Allier

Il faut faire toujours plus de ce que l’on fait de mieux.

Jean-Paul L’Allier

Jean-Paul L’Allier a été maire de Québec de 1989 à 2005, battant ainsi un record de longévité à la tête de la capitale. La résurrection du quartier Saint-Roch, au centre-ville, le projet des fusions municipales et son combat pour la démocratie municipale ont fait de lui l’un des maires les plus aimés au Québec. D’ailleurs, on parlait souvent de lui non pas comme le « maire de Québec », mais comme le « maire du Québec ». Son long règne ne fut pas de tout repos. Il a souvent remporté ses élections avec une faible avance. Il a donc dû composer avec des oppositions fortes. Mais son ouverture et son esprit diplomate ont fait en sorte qu’il a su braver les tempêtes. Excellent communicateur, ce visionnaire savait présenter la perspective qu’il avait en tête pour Québec, une ville qu’il a tant aimée. Ces projections étaient la plupart du temps inscrites à long terme. « Un concepteur et un designer, plutôt qu’un spécialiste de la mécanique. Un architecte, plutôt qu’un ingénieur », c’est ainsi qu’il aimait se décrire. Jean-Paul L’Allier est mort en 2016 à l’âge de 77 ans.

Pas facile d’être maire

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Jean Drapeau

Pouvez-vous le croire ? Seulement 35 années nous séparent de la fin du règne de Jean Drapeau, l’un des maires les plus autoritaires que Montréal ait connus. Ce bâtisseur n’a peut-être pas dit « l’État, c’est moi », qu’on attribue au jeune Louis XIV, mais il ne se gênait pour affirmer des choses comme « les masses veulent des monuments ».

Le chemin parcouru en trois décennies est immense. Les nombreux abus de confiance ont fait des ravages. Mais ils ont aussi été vecteurs de changement. La relation entre les citoyens et les élus a depuis grandement évolué.

Du leader directif, la figure longtemps privilégiée des citoyens québécois, nous sommes passés au leader positif. Aujourd’hui, l’adhésion des électeurs aux grandes décisions de leur milieu est incontournable. Cela explique sans doute que le terme « acceptabilité sociale », qui fait faire des boutons à certains élus, est aujourd’hui si répandu.

« Les maires directifs, c’est fini, dit Pierre Prévost, professeur associé au département de sciences politiques de l’UQAM. Les gens ne veulent plus de cela. Ils veulent être consultés. Il n’y a jamais eu autant de consultations dans les villes. J’observe la politique municipale depuis 30 ans et je peux vous dire que les choses ont beaucoup changé. »

Pour celui qui a publié en 2020 l’ouvrage Être un élu municipal, ça peut être génial chez JFD Éditions, le maire ou la mairesse d’une ville doit être capable d’exercer un leadership tout en ayant une aisance relationnelle.

Les leaders ne sont pas toujours relationnels et ceux qui excellent dans l’art d’entrer en relation avec les citoyens ne sont pas nécessairement de bons leaders. Aujourd’hui, il faut combiner ces deux qualités. C’est essentiel.

Pierre Prévost, professeur associé au département de sciences politiques de l’UQAM

Jean-Philippe Marois, président de la Commission municipale du Québec, abonde dans son sens. « La qualité première des élus municipaux, c’est le goût du service au citoyen. C’était comme ça il y a plusieurs années et ça n’a pas changé. Mais aujourd’hui, un élu doit susciter l’adhésion à sa vision plutôt que l’imposer. Pour atteindre ça, il faut de l’écoute, un dialogue et une ouverture. »

L’avènement des technologies et des nouveaux modes de communication, notamment celui des réseaux sociaux, a favorisé une plus grande implication des citoyens. Ceux-ci sont plus nombreux à exprimer leur point de vue, à créer des groupes de pression ou d’opposition, à remettre en question les décisions envisagées par les élus.

Il est toutefois intéressant de noter que tout en observant une plus grande implication des citoyens, on assiste à une chute libre du taux de participation aux élections municipales. « Justement, il y a peut-être une corrélation entre ces deux phénomènes, pense Pierre Prévost. Beaucoup d’électeurs se disent qu’ils n’ont pas besoin de se mobiliser le jour de l’élection, car ils savent qu’ils vont pouvoir réagir n’importe quand et sur n’importe quoi pendant le mandat des élus, comme les modifications d’urbanisme ou certains règlements d’emprunt. »

« Un chien de garde »

Les ministres doivent opérer dans leur champ de compétence. Les députés doivent composer avec les limites et les possibilités de leur gouvernement, selon qu’il se trouve à Québec ou à Ottawa. Mais les maires doivent démontrer leur efficacité dans mille et un aspects de la vie municipale. Cela va de la construction immobilière ou commerciale à l’environnement en passant par l’aide aux plus démunis, jusqu’à la collecte des ordures et à la présence de crottes sur les trottoirs.

« Un maire est un chien de garde qui doit veiller sur l’ensemble de sa ville, contrairement aux conseillers qui sont choisis par les électeurs de leur district, explique Pierre Prévost. Même s’il a été choisi par certains citoyens et pas par d’autres, il doit représenter l’ensemble des citoyens et des élus. »

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Colette Roy-Laroche

On juge souvent l’efficacité d’un maire à sa façon de gérer une crise ou une catastrophe. C’est le test ultime. Et quand il s’acquitte bien de ses tâches, il devient alors un héros. Ce fut le cas de la mairesse de Lac-Mégantic, Colette Roy-Laroche, lors de la tragédie qui a frappé sa ville en juillet 2013. Plus récemment, le maire de Gatineau, Maxime Pedneaud-Jobin, a fait preuve d’un grand leadership au moment des inondations (septembre 2017) et du passage d’une tornade (mai 2018) qui ont durement éprouvé sa ville.

Un bon maire est aussi quelqu’un capable de bien suivre l’évolution des normes législatives et réglementaires.

Le nombre de normes a considérablement augmenté au cours des dernières années. Je pense aux questions qui touchent l’environnement ou à la gestion des déchets. De leur côté, les grandes villes doivent se préoccuper de l’habitation et de l’immigration. Ça crée une pression accrue sur les élus.

Jean-Philippe Marois, président de la Commission municipale du Québec

Cette pression ne doit cependant pas influencer le ton que l’élu peut adopter avec des conseillers ou des citoyens critiques. « Chaque année, nous recevons un certain nombre de plaintes et de dénonciations à cet égard, confie Jean-Philippe Marois. Cette facette de la vie municipale est très importante. Le projet de loi 49 [projet de loi visant à modifier certaines dispositions en matière municipale] devrait nous permettre d’intervenir davantage à ce sujet. »

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Maxime Pedneaud-Jobin

Dernier aspect de la difficile réalité des maires : la proximité qui existe entre leurs citoyens et eux fait en sorte qu’il est beaucoup plus facile de les interpeller à brûle-pourpoint au sujet d’un problème. On croise son maire dans la rue, au supermarché ou sur la terrasse d’un restaurant et hop ! un commentaire est balancé.

À ce sujet, Pierre Prévost s’est souvenu d’une phrase célèbre de l’ancien maire de Québec Jean-Paul L’Allier qui disait qu’il n’y a « rien de plus proche du derrière d’un maire que les pieds d’un citoyen ».

Bref, un maire ou une mairesse perspicace devrait toujours prévoir des coussinets à ses pantalons ou à ses jupes.

Place aux lecteurs : Mère Teresa habillée en Batman

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On vous a demandé ce que serait, selon vous, le maire idéal ou la mairesse idéale. Résultat : vous voulez une personne attentive, humble, rassembleuse, humaine, visionnaire, franche, juste et transparente. En clair, vous souhaiteriez élire une sorte de mère Teresa dans un costume de Batman.

Je recherche l’humilité (ses décisions doivent être prises pour le bien commun, pas dans le but de se faire réélire), quelqu’un qui défend ses concitoyens et leur offre une bonne qualité de vie (rien à voir avec le concept de ville dynamique, d’évènements, de festivals et de consommation).

François Vaudrin

La mairesse idéale ou le maire idéal doit pratiquer l’art du compromis tout en accédant aux besoins de la majorité des citoyens.

Francine Davis

Un bon maire est le contraire de l’arrogance et de la démagogie. Les citoyens doivent sentir qu’il est là pour eux. Il doit verdir le plus possible, savoir planifier globalement les travaux d’infrastructure et les constructions afin d’éviter les petits, moyens et gros chantiers éparpillés dans différents coins de la ville.

Louise Rompré

Le prochain maire ou la prochaine mairesse doit exercer un leadership rassembleur. Cela implique d’avoir une vision, d’être capable de mobiliser son équipe vers l’atteinte des objectifs fixés, de faire preuve d’ouverture et d’écoute, de faire preuve de discernement. Il doit dégager une autorité naturelle qui fera en sorte que les membres de son équipe vont se rallier dans les moments de tension.

Daniel Manseau

Je pense qu’un maire ou une mairesse doit être à l’écoute des électeurs, mais également des spécialistes. Il arrive parfois que des groupes de citoyens militent pour quelque chose qui n’a pas vraiment de sens à cause de la situation environnementale, de la science, de la composition de la société ou autre.

Pierre Beaudry

Un bon maire doit connaître l’histoire, respecter les gens, embellir leur ville. Surtout ne pas céder aux modes qui passeront.

Hélène Smith

Je veux de la transparence, je veux que l’on dise les choses sans les enrubanner de nuances qui les avantagent.

Suzanne Lemieux

La qualité d’un maire est de ne pas avoir la langue fourchue : dire à ses amis promoteurs une chose et le contraire aux citoyens.

Carlo Tarini