Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, quatre artistes nous présentent, à tour de rôle, leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à Natasha Kanapé Fontaine.

Tapue tshia

« Nasht ui tapueu ne Utshimau. »

Il veut absolument avoir raison. Il veut absolument dire vrai. Il veut absolument être celui qui dit, celui qui parle et celui qui dit vrai.

Je ne trouve pas de mot pour vérité dans l’innu-aïmun. Il n’y a que l’équivalent pour « ce qui est vrai ». Tapue, tapuemakan. Ka tapuenanut. Tapuetamun. Dire la vérité. Donner raison. Il n’y a que l’état des choses que les mots semblent dire clair et vrai. Que les mots de ma langue souhaitent nommer, dans l’absolu, pour reconnaître l’existence de l’état des choses. De ce qui nous entoure. Si on ne sait les nommer, on ne peut survivre. On ne peut suivre la marche des autres. On ne peut continuer sa route.

Si je ne sais pas nommer la température, je vais me perdre dans la forêt. Si je ne sais pas nommer la plante, je cours le risque de m’intoxiquer. Si je ne peux pas nommer le chemin, je n’aurai nulle part où aller.

Si je ne peux pas dire la vérité, je vais manquer d’air.

La forêt boréale est une forêt de secrets et de surprises pour ceux qui ne la connaissent pas, qui nient son cœur, qui effacent son corps. Pour nous, la forêt boréale n’avait plus aucun secret depuis des milliers d’années. Nous la connaissions tellement dans le cœur que nous l’avions dans l’âme. Tu clignes une seule fois des yeux et tu sais déjà où tu vas. Tu vois toute la route dans ta tête et c’est comme si tu étais déjà arrivé à destination. Et la vérité, c’est entre autres parce que nous pouvions nommer chaque élément, animé ou inanimé, présent autour de nous. Nommer parce qu’il existe, nommer parce qu’il est vrai.

Nous sommes gavés par l’incapacité du gouvernement Legault à simplement reconnaître que nous avons raison de vouloir nommer l’état des choses. Et il y a tant d’autres choses à faire encore. La vérité, c’est qu’il n’y a pas de justice. Nous faire attendre : un art gouvernemental. Il contourne cet état des choses. Il détourne la vérité. Il détourne le sens des mots. La vérité du sens. Le sens de la vérité.

Si je ne peux pas dire la vérité, je vais manquer d’air.

Et si je manque d’air, comment pourrais-je prendre dans mes bras la nuit chacun des enfants retrouvés derrière les pensionnats du pays ? Chaque enfant disparu dans le système de santé au Québec au cours de décennies oubliées ? Comment pourrais-je continuer à bercer chacun d’entre eux si je ne peux avoir la paix de l’esprit, si je ne peux vivre mon deuil ?

Au moment d’écrire ces lignes, un enfant dans la rue se met à pleurer. J’ai le cœur qui flanche.

Six mille cinq cent neuf enfants qui n’ont jamais retrouvé leurs familles. C’est une ville.

Combien sont-ils au Québec que les hôpitaux n’ont jamais redonnés à leurs parents au cours de ces décennies oubliées ?

Je sors de la maison et le coucher de soleil est orange. Les enfants s’envolent. Les feuilles, passées du vert au jaune, parsèment les rues. Couchées par terre, elles fixent les nuages. En tendant la main, je touche le ciel. Il est comme le miel, il s’égoutte lentement, et sa lumière se répand sur moi. Il faudrait que je sois comme l’ours, à me gaver de la beauté du moment. Que mon deuil ne soit pas ce qui me pèse, mais ce qui fait de moi une force vive. Mon deuil ? Multiple. Alors je suis des milliers de bisons à la course.

Mon cœur flanche et se relève. Mon cœur flanche et se relève. Mon cœur flanche et se relève.

Chaque enfant est un morceau de vérité.

Tapue tshia.