Le Canada, explique la chercheuse du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal, ne peut plus faire l’économie d’un débat sur la politique étrangère.

La campagne électorale fédérale se déroule sur fond de quatrième vague de COVID-19 et dans un contexte international pour le moins agité.

En Afghanistan, 20 ans de présence occidentale se sont soldés par une retraite précipitée des États-Unis et de leurs alliés, et un retour en force des talibans. En mai, un énième affrontement entre Israéliens et Palestiniens a vu le conflit s’étendre aux villes mixtes à l’intérieur même d’Israël. En juillet, le président Jovenel Moïse était assassiné en Haïti alors qu’en Tunisie, le président Kaïs Saïed gelait le Parlement et s’accordait les pouvoirs exécutifs. Entre-temps, les relations sino-canadiennes demeurent brouillées par les tensions autour du dossier Huawei et de la détention des deux Michael. Pour leur part, les relations canado-américaines, durement éprouvées sous l’administration Trump, ne sont pas revenues au beau fixe.

L’environnement international est en pleine mutation : le multilatéralisme est mis à rude épreuve, les défis se complexifient et la sécurité et la prospérité du Canada ne vont plus aussi naturellement de pair.

Dans un tel contexte, on aurait pu penser que la politique étrangère occuperait une place importante dans la campagne électorale en cours. Il n’en est rien.

Parmi les débats des chefs en français, seul celui du 8 septembre comprenait une section sur les affaires étrangères (et la justice), rondement traitées en moins de 10 minutes. À cette occasion, les positions exprimées tant sur l’Afghanistan que sur la Chine ou les réfugiés n’ont pas été à la hauteur de la complexité de ces enjeux et de leurs multiples dimensions sécuritaires, économiques ou éthiques.

Ce manque d’attention – certains diraient d’ambition – pour la politique étrangère n’est pas nouveau. En avril dernier, le gouvernement Trudeau avait été critiqué lors du dépôt de son budget pour la médiocrité de ses investissements en politique étrangère dans un budget qui, par ailleurs, battait des records de dépenses. Si le problème ne date pas d’hier, il n’en est pas moins important.

La politique étrangère n’est pourtant pas si « étrangère » que cela. Même si les chefs ne l’ont pas ouvertement dit, leurs politiques sur des questions aussi diverses que la gestion de la pandémie et la vaccination, la reprise économique et la pénurie de main-d’œuvre, les armes d’assaut ou encore les gaz à effet de serre ne pourront être décidées en vase clos. Elles dépendront certes de la volonté politique et des ressources disponibles, mais aussi de facteurs hors frontières, des décisions de nos alliés et rivaux, dont l’impact doit être pris en considération dans la formulation des politiques.

Non seulement la politique étrangère aura-t-elle un impact sur la manière dont nous formulons nos réponses aux défis que le Canada doit relever, elle a aussi désormais un impact sur le fonctionnement même de nos institutions.

Depuis la campagne présidentielle américaine de 2016, par exemple, les inquiétudes abondent concernant une potentielle manipulation russe des processus électoraux. Et au Canada, certains experts se sont demandé si la virulence des attaques contre les chefs politiques ces dernières semaines n’était pas due à ce genre d’ingérence.

Les désaccords entre Canadiens sur la politique étrangère s’invitent de plus en plus fréquemment dans nos institutions et nos partis, comme ce fut le cas cet été lorsque le Parti vert a failli être déchiré par des différends concernant la question israélo-palestinienne.

Enfin, il ne faut pas oublier que 22 % de la population canadienne est née à l’extérieur du pays et que ces citoyennes et citoyens, de quelque communauté diasporique qu’ils soient, maintiennent des liens et des intérêts dans leur pays d’origine.

La politique étrangère est au cœur de la vie politique canadienne. Et elle est là pour de bon.

Le Canada ne peut plus faire l’économie d’une sérieuse discussion sur la politique étrangère et sur son impact en matière de sécurité, de prospérité et de (re)définition de nos intérêts. Cette discussion, les Canadiens l’appellent de leurs vœux.

En mars-avril 2021, 444 citoyens ont participé à des délibérations sur la politique étrangère organisées par le Conseil international du Canada. Les résultats sont encourageants : les personnes impliquées se sont non seulement dites intéressées par l’expérience, elles ont aussi démontré qu’au-delà de leurs préférences régionales ou partisanes, toutes avaient à cœur des politiques avantageuses non seulement pour eux et pour leurs compatriotes, mais aussi pour les non-Canadiens qu’elles pourraient toucher.

La leçon semble claire : le Canada va devoir réagir à un environnement international changeant et modifier ses politiques internationales. Quel que soit le gouvernement qui sera aux commandes à Ottawa le 21 septembre, il aura besoin de l’aval des Canadiens et des Canadiennes lorsque les choix seront difficiles – et ils le seront. La population est prête à discuter de politique étrangère. Aux politiciens de suivre.

Plus près qu’on pense

Le Québec est l’une des provinces qui semblent le moins s’intéresser à la politique internationale du Canada. Est-ce prudent ? Le Journal de Montréal a révélé le 9 septembre qu’un candidat libéral dans Laurentides—Labelle occuperait simultanément des fonctions représentatives dans un parti libanais, ce qui soulève un conflit d’intérêts en matière… d’intérêt national. Comme quoi, la politique étrangère peut s’infiltrer de différentes manières dans le jeu politique canadien.

Pour aller plus loin

La chercheuse Marie-Joëlle Zahar suggère ces documents :

Consultez les résultats de la délibération citoyenne menée par le Conseil international du Canada (en anglais) Voyez la comparaison des plateformes des partis fédéraux sur le site de Radio-Canada Regardez la vidéo du Forum St-Laurent sur la sécurité internationale portant sur les défis géopolitiques du Canada

Articles de l’organisation Open Canada sur sa vision de la politique étrangère de trois partis fédéraux :

Lisez l’article « What should the Liberal Party’s foreign policy platform look like ? » (en anglais) Lisez l’article « What should the Conservative Party’s foreign policy platform look like ? » (en anglais) Lisez l’article « What should the NDP’s foreign policy platform look like ? » (en anglais)