L'année 2007 aura été (encore) un bon cru pour les réalisateurs mexicains. Après les Oscars, qui ont consacré les films de Guillermo Del Toro (El laberinto del Fauno) et d'Alejandro Gonzales Iñárritu (Babel), le Mexique a débarqué sur la Croisette, où Luz silenciosa de Carlos Raygadas a décroché le prix du jury.

El Violín, de Francisco Vargas, en salle depuis hier ici, a chauffé Spider-Man 3 à sa sortie plus tôt cette année au Mexique. On pourrait croire à un nouvel âge d'or. Et pourtant

À Hollywood, on les surnomme «The Three Amigos». Difficile de rater Guillermo del Toro (El laberinto del Fauno), Alfonso Cuaron (Children of Men) et Alejandro Gonzales Inarritu (Babel). À eux seuls, les trois réalisateurs mexicains ont court-circuité les festivals internationaux de cinéma l'an dernier, faisant main basse sur rien de moins qu'une centaine de récompenses.

Difficile d'échapper aussi à l'un des autres visages de la vague mexicaine, Gael Garcia Bernal. Le comédien, révélé au monde par la grâce d'Iñárritu (Amores Perros) et de Cuaron (Y tu mama tambien), passé chez Almodovar (La mauvaise éducation) et Gondry (La science des rêves), vient de présenter sa première réalisation à Cannes, Deficit.

Bernal n'a pas qu'une belle gueule: il est aussi producteur et distributeur. Son premier coup d'éclat? Avoir distribué au Mexique El Violín, premier long métrage remarqué et primé de Francisco Vargas. Avec sa vingtaine de copies en circulation au Mexique, le film réalise les meilleurs résultats d'exploitation après Spider-Man 3, présenté dans, excusez du peu, plus de 900 salles.

«Il y a une vague de cinéma mexicain en ce moment, confirme Louis Dussault, le président de K-Films Amérique, et distributeur d'El Violín au Québec. Quand El Violín a été présenté au Festival du nouveau cinéma, les salles étaient pleines, on a même dû refuser du monde. J'ai présenté au même moment un film africain, Rêves de Poussières, de Laurent Salgues, dans des salles vides.»

Tout comme il y a eu une vague asiatique au début des années 2000, donc, il y a aujourd'hui une vague mexicaine. Il y a les Three Amigos, bien sûr, mais aussi le «frère de», Carlos Cuaron, réalisateur de Rudo y Cursi, et Carlos Reygadas, réalisateur de Luz Silenciosa.

Ce qui ravive de bons souvenirs. «Le Mexique a une histoire et une industrie du cinéma incroyable», rappelle Pierre Jutras, directeur de la programmation et de la conservation à la Cinémathèque québécoise. Dans les années 30 et 40, un star-system 100% mexicain, avec ses idoles, parmi lesquelles les actrices Maria Felix et Dolores Del Rio, faisait la pluie et le beau temps au Mexique.

Le Mexique a également donné au 7e art de grands cinéastes. Outre Luis Buñuel, qui a tourné une partie non négligeable de son oeuvre au Mexique, Emilio Fernandez (Maria Candelaria), Arturo Ripstein (La reina de la noce) et encore Paul Leduc (Frida, naturaleza viva) ont participé à l'essor du cinéma mexicain. «Longtemps, il y a eu une infrastructure presque industrielle au Mexique», rappelle Pierre Jutras, faisant une comparaison avec la France et l'Italie.

Seulement, voilà. Les choses se sont dégradées dans les années 90, et, avant de voir le sommet de la vague, les artisans du cinéma mexicain ont sérieusement goûté son creux. «Peut-être qu'Hollywood a fait des ravages aussi chez eux», émet, en hypothèse Pierre Jutras. Une hypothèse que les chiffres tendraient à conforter.

En 1993, le Mexique produisait 140 films. Un an plus tard, l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) entrait en vigueur. Adieu quotas et subventions; bonjour libéralisation, privatisations et concentrations. En une année, la production de films mexicains dégringole à son plus bas niveau: sept longs métrages en 1994. Aujourd'hui, les films américains squattent 90% des écrans.

Le cinéma mexicain est encore loin d'avoir réglé ses problèmes d'infrastructures, notamment en terme de distribution, et d'exploitation dans des salles appartenant aux majors américaines. «Il y a deux choses distinctes, croit Charles Tremblay, directeur général de Métropole Films, un autre société de distribution. D'un côté, des artisans mexicains qui ont gravi des échelons, à Hollywood notamment. De l'autre, des distributeurs mexicains incapables de distribuer les films nationaux.»

À son arrivée à Cannes, avec la plus imposante délégation mexicaine de l'histoire du cinéma mexicain, le cinéaste Simon Bross (Malos Habitos) dressait un état des lieux peu flatteur. «Le pays le plus difficile pour distribuer des films mexicains, c'est le Mexique. Le public des autres pays n'est pas plus cultivé, mais au Mexique, il y a une bande d'imbéciles qui pensent que les gens sont idiots.»

Comme le note Pierre Brousseau, vice-président de Films Séville, les grands succès des Iñárritu, Del Toro et Cuaron sont des coproductions financées en majorité par des compagnies américaines: Anonymous Content, Warner et Universal, avec qui les Three Amigos viennent par ailleurs de signer une entente. «Si Iñárritu n'était pas backé par les Américains, on n'en parlerait même pas», dit-il.

Il faudra plus que le faste de certains cinéastes mexicains pour cacher la misère de toute une industrie contrôlée par les grands studios américains.

«Ce n'est pas parce que Denys Arcand a du succès à Cannes que cela aide nécessairement les cinéastes québécois», fait remarquer Monica Haïm, critique de cinéma spécialisée dans l'Amérique latine.

Avec AFP et Variety