Je rencontre Guillaume Vigneault au M sur Masson. L'auteur de Carnets de naufrage a vu son premier scénario original porté à l'écran cette année (l'excellent Tout est parfait) et travaille en ce moment sur deux adaptations cinématographiques: Sympathie pour le diable de l'ex-journaliste Paul Marchand et Chercher le vent, tiré de son propre roman, qui sera réalisé par Pierre Houle. Thème: littérature et cinéma.

Marc Cassivi: On dit souvent que le roman est meilleur que le film. De ton point de vue est-ce que c'est un cliché?

Guillaume Vigneault: Pour moi ce n'est pas qualitatif mais catégoriel comme distinction. Le roman est nécessairement une expérience plus intime. À la limite, pour faire un parallèle boiteux, c'est un scénario que tu donnes au lecteur, qui se fait son film idéal. C'est sûr qu'il a plus de chances de l'aimer.

M.C.: Et quand tu écris un roman, est-ce que tu te fais aussi ton propre film?

G.V.: Je travaille comme ça.

M.C.: Tu as des images, pas seulement une musique qui te vient des mots...

G.V.: Ça dépend. Il y a des paragraphes qui sont portés par les mots. Le langage a préséance. Mais ils sont assez rares dans mes romans. La plupart du temps, je vois quelque chose dans l'histoire et je cherche des mots qui vont s'effacer, qui vont se fondre dans ce décor-là. Pour qu'on n'ait pas l'impression de lire, finalement. Je me laisse parfois séduire par les mots. J'aime la précision, mais je ne pense pas que je donne l'impression de me regarder écrire. Je l'espère...

M.C.: Penses-tu que de ce point de vue là, c'est plus facile pour toi d'adapter tes propres romans que ceux des autres pour le cinéma?

G.V.: Oui et non. Je suis en train de le faire avec Pierre Houle (l'adaptation de Chercher le vent). Je voulais un regard extérieur, parce qu'on ne peut pas tout dire dans un film. Un roman, c'est plus dense. C'est une autre raison pour laquelle les gens disent que le livre est meilleur que le film. Il faut choisir un angle du livre lorsqu'on fait un film, alors que le roman donne tous les angles. Il y aurait trois films à faire avec Chercher le vent. Il a fallu en choisir un. C'est pour ça que je suis heureux que Pierre Houle, qui n'est pas seulement réalisateur mais coscénariste, ait choisi une histoire qu'il avait particulièrement envie de raconter.

M.C.: Est-ce que ce sera un road movie?

G.V.: Oui, mais ça s'est beaucoup transformé en cours d'écriture. Je pense que c'est le road trip du roman qui a d'abord poussé Pierre à vouloir en faire un film. Mais en relisant le roman, il s'est rendu compte que ce qui l'avait peut-être intéressé n'était pas nécessairement le paysage qui défilait à l'extérieur de l'auto mais ce qui se passait dans l'habitacle.

M.C.: As-tu peur que les fans du roman disent à leur tour qu'ils ont préféré le livre au film?

G.V.: Oui et non. Beaucoup de gens m'ont dit au début: «Si le film n'est pas fidèle au roman, si l'acteur principal ne correspond pas tout à fait au personnage, tu vas perdre le contrôle.» Le roman est écrit. Un film raté ou un film moyen ne va rien changer au roman. C'est sûr que j'aimerais que le film soit fidèle au roman à sa façon. Mais la seule façon d'être fidèle - ç'a l'air cute à dire - c'est d'essayer de trahir le roman. Les films qui réussissent à tout mettre ce qu'il y a dans le roman sont d'une telle densité.

M.C.: Et sont rarement aboutis.

G.V.: Pour qu'une adaptation soit réussie, il faut qu'elle fasse le deuil d'une grosse partie du roman, je pense. D'ailleurs, la meilleure forme littéraire pour faire un film, c'est la nouvelle. Ça fait deux ans qu'on travaille là-dessus. Depuis six mois, c'est devenu un film inspiré du roman. Ce n'est plus le roman porté à l'écran. Ça peut avoir l'air sémantique comme distinction, mais c'est plus que ça. On s'en permet. Par exemple, ça ne se passe plus en Louisiane mais à Cuba. Je trouve que les dialogues du film sont meilleurs que ceux du roman. Je n'ai pas de regrets dans la mesure où le roman n'est pas fait pour être dit à haute voix. Les répliques d'un roman doivent sonner vrai, mais transposées au cinéma, elles peuvent avoir l'air très hachurées. Ce n'est pas ce qu'il y a de mieux pour la crédibilité orale. Dans le roman, on peut se permettre des tirades plus longues...

M.C.: Avec un langage plus soigné. Je voulais t'en parler. Je suis obsédé par le niveau de langage dans le roman. Chercher le vent est un bon exemple. J'ai accroché à certains dialogues. J'avais de la difficulté à croire qu'un gars qui sort du bois parle à ses chums en disant «mec» ou des choses du genre. Je l'ai écrit dans une chronique...

G.V.: J'en ai entendu parler. J'ai fait une recherche électronique et j'ai trouvé le mot «mec» une seule fois dans Chercher le vent, et c'est l'Espagnol qui le dit.

M.C.: Tu vois ce que je veux dire.

G.V.: Je suis d'accord. Mais si c'était à refaire, je n'irais pas dans l'écriture phonétique. Il n'y a rien qui me tue plus que le joual phonétique. Ça devient une question d'oreille et de sensibilité. J'aime donner des indices de comment un personnage parle une fois de temps en temps. Je vais mettre un «calvaire» ou un «crisse» quand c'est vraiment nécessaire. Je me dis que le lecteur accorde son oreille en conséquence. Quand il lit «je suis», il entend «chu». Je ne veux pas écrire «chu» trop souvent. Je revendique le droit à tous les moyens de la langue lorsque je suis dans la tête du personnage. Après, dans les dialogues, c'est difficile de lui faire dire «tsé veux dire». J'ai tiré la couverture d'un côté dans l'oralité, pour ne pas qu'un paragraphe de prose soit suivi de «tsé veux dire». J'ai voulu que tout ce qui est à la première personne soit écrit comme si Jack était écrivain, même s'il n'est pas écrivain.

M.C.: C'est une convention finalement.

G.V.: Oui, mais très floue. J'admets que ç'a toujours été un point de tension. Je suis toujours à l'écoute de ça. Si c'était à refaire, je ferais des ajustements. Je me paierais deux ou trois élisions de plus et deux ou trois tournures différentes. Mais la plupart du temps, je pense que Chercher le vent trouve son équilibre.

M.C.: Je t'avoue que je craignais dans Tout est parfait (le premier film scénarisé par Vigneault) de retrouver un niveau de langage trop littéraire dans la bouche des adolescents. Je suis un peu maniaque. Mais j'ai vite été rassuré. Les dialogues sont vraiment crédibles.

G.V.: Si on n'avait pas cru à ces jeunes-là, on n'aurait cru à rien.

M.C.: C'est tellement difficile à diriger, des jeunes, si les mots qu'on leur met dans la bouche ne sont pas crédibles, c'est foutu.

G.V.: Je suis d'accord avec toi. Même pour le roman. C'est difficile de trouver l'équilibre. C'est ça le problème avec notre oralité. Elle est plus ou moins assumée. Il y a des dialogues qui sonnent faux au cinéma parce qu'on dirait qu'il y a un complexe dans l'écriture. On veut que nos personnages parlent bien. C'est comme ça qu'on tue leur crédibilité. À partir du moment où on ne croit plus à un personnage, on ne se dit pas: «Il est peu crédible, mais qu'est ce qu'il parle bien ce jeune!» On décroche totalement.