Les discussions allaient bon train à la sortie de la toute première projection de Synecdoche, New York, sélectionné en compétition officielle.

Issu de l’imagination de l’éminent scénariste Charlie Kaufman, qui en assume aussi la réalisation, ce film est en effet parsemé de fulgurances, mais se retrouve aussi coincé dans une mécanique tellement lourde – parfois incompréhensible – que bien des spectateurs ressortent de l’aventure un brin perplexe…

«Je ne voudrais même pas essayer de résumer cette histoire en une phrase! commentait la vedette du film, Philip Seymour Hoffman, devant la presse après la projection. Ce type vit d’évidence un malaise existentiel qu’on ne peut identifier de façon précise. Chaque blessure amène pourtant autre chose, c’est ça qui est fascinant.»

Comptez en effet sur Charlie Kaufman, auteur notamment des scénarios de Being John Malkovich et d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind, pour camper un univers singulier dans lequel chaque menu détail défie l’imagination.

«Je ne sais pas d’où viennent mes idées, expliquait Kaufman hier. J’écris tout simplement sur des thèmes qui me préoccupent au moment où j’écris. Ces temps-ci, cela tourne pas mal autour du fait de prendre de l’âge et de tout ce que cela entraîne, notamment la maladie. C’est ce à quoi j’ai pensé en écrivant. Et voilà le film que ça donne!» 

Philip Seymour Hoffman, qui offre ici une autre extraordinaire performance, prête ses traits à Caden, un metteur en scène de théâtre de banlieue qui est en train de monter une nouvelle pièce. Sa femme, Adèle (Catherine Keener), le quitte pour aller poursuivre sa carrière de peintre à Berlin, emmenant avec elle leur fillette. Le système nerveux de Caden est alors rudement mis à l’épreuve et des symptômes inquiétants commencent à se manifester.

Il décide alors de tout quitter pour se consacrer à un projet d’envergure. Rassemblant quelques comédiens, il réquisitionne un entrepôt, fait construire des maquettes d’une ville, et demande à ses acteurs de «célébrer» le quotidien en les faisant vivre une vie artificielle au beau milieu de décors en carton-pâte. Dix-sept ans plus tard, le «spectacle» est encore à régler. Et n’a jamais été montré devant le moindre spectateur…

La première partie de Synecdoche, New York est carrément jouissive. On y retrouve la divine intelligence de Kaufman, ses lubies, son humour, son imagination, bref, il y a carrément là promesse d’une œuvre de génie, un 8 ½ dont l’esprit serait parfaitement adapté au XIXe siècle.

Malheureusement, la deuxième partie, extrêmement complexe dans sa mécanique, s’étire inutilement et perd bien des spectateurs en cours de route. Étant obligé d’évoluer dans la structure très sophistiquée qu’il a installée dans le premier acte, Kaufman multiplie les pistes et fragmente ses personnages, certains étant les gens de son entourage; d’autres, les alter ego fictifs de ces mêmes personnages.

Aussi, la seconde partie, qui s’étale sur plusieurs années, se révèle beaucoup plus grave. Il y a alors tellement de personnages qui se croisent et s’entrecroisent qu’on en vient à ne plus savoir qui est qui, qui est en relation avec qui, et qui fait quoi. De sorte que le dénouement, très émouvant par sa nature même, n’a pas tout à fait l’impact escompté.

On ressort ainsi du film avec la vague impression d’être passé à côté de quelque chose d’exceptionnel. Cela dit, Kaufman, qui signe ici sa toute première réalisation, a la main très sûre sur ce plan.

Philip Seymour Hoffman, qui devrait en principe être un sérieux candidat au prix d’interprétation, est appuyé de son côté par une distribution impressionnante, dont font notamment partie Catherine Keener, Samantha Morton, Michelle Williams, Emily Watson, Dianne Wiest, Jennifer Jason Leigh, Hope Davis et Tom Noonan.

«Étonnamment, je n’étais pas craintif à l’idée de passer à la mise en scène, a déclaré Charlie Kaufman. J’ai essayé d’emprunter la même approche qu’à l’étape de l’écriture. Je reste toujours ouvert à la spontanéité. Je me suis aussi beaucoup servi de tous les esprits créatifs qui m’entouraient sur le plateau.»

Quant au titre, avec lequel bien des festivaliers ont du mal (prononcez Si-nec-do-ki), Kaufman ne s’en fait pas outre-mesure. «Au contraire, dit-il, j’aime les titres un peu difficiles. Parce qu’une fois qu’ils sont assimilés, les gens les retiennent mieux. Je me rappelle qu’Eternal Sunshine of the Spotless Mind était un titre impossible aux yeux de pas mal de gens. Or, tout le monde est aujourd’hui en mesure de nommer ce titre sans trop se tromper. Je suis convaincu qu’il en sera de même avec Synecdoche, New York

Notons enfin que les droits d’exploitation du film au Québec appartiennent à la société Équinoxe. On ne prévoit pas de sortie avant l’automne. 

De la corruption avec style

De l’Italie, nous attendions surtout Gomorra, l’adaptation du livre à succès de Roberto Saviano sur la mafia napolitaine. Or, voilà que la deuxième entrée italienne, Il Divo, se démarque avantageusement, grâce à une approche singulière empruntée par le cinéaste Paolo Sorrentino, dont le premier film, L’ami de la famille, avait aussi été sélectionné en compétition officielle il y a deux ans. 

Le film relate le parcours de Giulio Andreotti (Toni Servillo), un politicien de profession depuis des décennies, impliqué jusqu’à la moelle dans des épisodes plus ou moins glorieux de la scène publique. 

Même s’il faut bien connaître les moindres rouages de la politique intérieure italienne pour apprécier à sa juste valeur un récit visiblement très bien documenté, Il Divo se distingue surtout par son style original, son humour décalé, son ironie à toute épreuve, et une utilisation réussie de la musique. Ce film est aussi extrêmement intéressant sur le plan visuel, quoique l’utilisation de mouvements de caméra spectaculaires se révèle parfois un peu abusive.

De par la nature du sujet, les perspectives d’exportation sont plutôt limitées. Souhaitons tout de même qu’Il Divo retienne l’attention de quelques-uns de nos programmateurs de festivals.

Nos critiques

Synecdoche, New York
* * *

Il Divo
* * *1/2