Dans son nouveau brûlot, le réalisateur de Fahrenheit 9/11 remet en question le système capitaliste. Et propose du même souffle un discours rarement entendu dans le paysage médiatique américain.

Dans la foulée d'une crise financière ayant frappé durement - et de plein fouet - les États-Unis, Michael Moore est allé demander des comptes à ceux qui ont été sauvés du naufrage par le gouvernement américain: les banquiers de Wall Street. L'une des scènes les plus drôles de Capitalism: A Love Story montre le célèbre trublion en train de demander conseil à des courtiers à la sortie des bureaux. L'un d'eux lui répond du tac au tac: «Arrête de faire des films!»

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La boutade est assez éloquente. Pour son nouveau pamphlet, Moore s'est immiscé dans un monde où il compte très peu d'alliés naturels. Qui, parmi les manitous de la haute finance, a envie de prêter l'oreille aux idées de ce militant de gauche prônant désormais - sacrilège! - le rejet du système capitaliste?

«Quelques semaines après le krach, j'ai réalisé que personne chez nous n'allait oser lancer cette idée, a confié le cinéaste au cours d'une entrevue accordée à La Presse au Festival de Toronto. Personne ne veut reconnaître l'évidence: le système capitaliste ne fonctionne pas. Il faut le changer. De là est venue l'idée de ce film.»

Traçant des parallèles avec la Rome antique, Moore s'attarde à démonter la mécanique d'un système qui, à son avis, s'est complètement déréglé au cours des années 80, alors que Ronald Reagan logeait à la Maison-Blanche.

«C'est à cette époque que la classe moyenne a commencé à s'appauvrir au profit d'une infime minorité de riches, explique le cinéaste. Aujourd'hui, c'est pire que jamais. Une toute petite minorité d'individus se partage la richesse alors que la vaste majorité des gens travaillent au service de ces mêmes individus dans des conditions précaires. Au lieu d'avoir une tarte divisée équitablement entre dix personnes installées autour d'une table, il y a neuf parts qui vont au à une personne et les neuf autres se disputent celle qui reste!»

Quand on lui fait remarquer que sa description du capitalisme correspond peut-être à une interprétation prônée plus particulièrement par les Américains, Moore se montre intransigeant.

«Le système capitaliste n'est tout simplement pas un bon système à la base, dit-il. À mon sens, il s'agit même d'un système diabolique. Il faut le remplacer par un autre, plus démocratique, plus équitable. Et surtout plus moral! Sinon, je crains que la violence explose. Je ne la souhaite pas, bien au contraire. Mais si nous n'agissons pas, la colère du peuple est tellement grande, tellement profonde, qu'elle peut faire mal.»

Un chapitre manquant?

Justement, cette colère populaire s'est beaucoup exprimée au cours des dernières semaines à l'occasion du débat sur la réforme des soins de santé. Cet élément n'existe pourtant pas dans Capitalism, A Love Story. Le film se termine plutôt sur une note d'espoir avec l'arrivée de Barack Obama au 1600, avenue de la Pennsylvanie. Ce que cette colère, désormais dirigée vers le nouveau président et son administration, révèle de l'état d'esprit dans lequel se trouve une certaine partie du peuple américain, s'affiche ici un peu comme le chapitre manquant d'une histoire en constante évolution.

«Permettez-moi d'être en désaccord avec votre vision des choses, réplique Michael Moore. Il est vrai que la teneur des récents débats est préoccupante. Le fait que la réforme, selon toute vraisemblance, soit rejetée m'attriste aussi au plus haut point. D'autant plus que ce sujet me tient à coeur. J'ai fait Sicko pour ça. Cela dit, il faut comprendre qu'il reste encore chez nous une quarantaine de millions d'analphabètes fonctionnels. Des gens dont le niveau de lecture et d'écriture ne dépasse pas celui d'un élève de quatrième année. Cette partie de la population, mal informée, peut facilement être manipulée. Les ténors de la droite sont d'ailleurs les grands champions dans le domaine de la manipulation. Ils savent se faire entendre.

«Les démocrates, poursuit-il, devraient d'ailleurs prendre exemple sur les républicains et parler aussi fort qu'eux. Mais, comme toujours, ils n'ont pas de colonne. Ils ne tiennent pas non plus les promesses faites pendant la campagne électorale. Le président ne suscite pas l'enthousiasme de ceux qui l'ont appuyé le plus - les tenants de la gauche - parce qu'il cherche constamment le compromis. Or, tu ne peux pas t'emballer pour des compromis. Obama devra imiter Roosevelt s'il veut véritablement s'imposer. Il doit gouverner avec autorité.»

Une cible

À ceux qui estiment que Michael Moore prêche déjà pour les convertis, le cinéaste fait valoir son statut particulier.

«Pourquoi suis-je autant attaqué d'après vous? Tout simplement parce que je suis l'un des seuls - sinon le seul - militant de gauche à bénéficier d'une large diffusion. Le jour où Noam Chomsky et Naomi Klein - je les admire tous les deux - auront une audience populaire, ils seront attaqués de façon aussi virulente que moi. Je comprends le phénomène. Et je l'accepte. Mais là est bien la preuve que je ne prêche pas seulement aux convertis. Comme mon discours est entendu partout, je deviens «dangereux» aux yeux des gens de la droite.»

- Êtes-vous parfois fatigué d'être une cible?

- Bien sûr. Qui veut cela? Je suis un être humain. Quel est mon crime? De faire des films? D'avoir des idées? De les exprimer? Je n'ai pas de haine en moi. Je n'ai jamais dit, par exemple, que je haïssais George W. Bush. Malgré tout ce qu'on lance contre moi, je continue. Il en va de ma responsabilité de citoyen. Cela dit, je n'accomplirai rien tout seul!»

Même si les dérapages du débat actuel sur la réforme des soins de santé le rendent un peu moins optimiste, Michael Moore n'en garde pas moins l'espoir de voir ses concitoyens remettre en cause un système économique auquel ils semblent pourtant si attachés.

«Je sais, cela peut paraître utopique, dit-il. Mais la chute du mur de Berlin était aussi une utopie. Tout comme la libération de Nelson Mandela et son accession à la présidence de l'Afrique du Sud. Il y a deux ans, personne n'aurait pu croire qu'un homme noir deviendrait le prochain président des États-Unis. J'ai vu l'impossible survenir. J'y crois. Il en va de notre survie.»

Capitalism: A Love Story (Capitalisme: Une histoire d'amour en version originale avec sous-titres français) prend l'affiche le 2 octobre.