L'ombre de Roman Polanski planait vendredi sur la 60e Berlinale où entrait en lice pour l'Ours d'or son palpitant thriller The Ghost Writer, analyse caustique d'une traque médiatique que le cinéaste franco-polonais assigné à résidence en Suisse a lui-même subie.

> Réagissez au blogue de Marc-André Lussier

Son film devait ouvrir le festival mais les organisateurs ont reculé, car Polanski attend en Suisse une éventuelle extradition vers les États-Unis pour des «relations sexuelles illégales» avec une mineure datant de 1976.

«Cela aurait pu être interprété comme une prise de position sur un sujet dont nous ne voulions pas nous mêler», a expliqué le directeur du festival Dieter Kosslick.

«Ne pas avoir Roman avec nous, au centre de cette tribune est très étrange pour nous», a déclaré à la presse Robert Benmussa, l'un des producteurs du film qui a été bien reçu lors de la projection réservée aux critiques.

«C'est un réalisateur intense, qui a eu une vie intense et je suis très fier d'avoir travaillé avec lui», a commenté l'ex-James Bond Pierce Brosnan, qui dans le film campe Adam Lang, un sulfureux ex-Premier ministre britannique inspiré de Tony Blair.

«J'ai été très choqué, très attristé par son arrestation», a déclaré l'acteur irlandais âgé de 56 ans, «je me suis demandé pourquoi maintenant, après tant de temps, j'ai pensé à sa femme et à ses enfants».

«Je me suis davantage remis en question en travaillant avec lui qu'avec aucun autre réalisateur», a affirmé de son côté l'Écossais Ewan McGregor, qui interprète le «nègre» littéraire du politicien.

Installé dans la froide et luxueuse villa de Lang sur une île désolée, ce «nègre» mène l'enquête sur le passé de l'homme politique et son engagement controversé auprès des États-Unis dans le conflit irakien.

L'épouse (Olivia Williams), la secrétaire (Kim Cattrall, la mangeuse d'hommes Samantha, dans la série américaine Sex and the City) et un vieil ami (Tom Wilkinson) de l'homme politique vont tantôt l'aiguiller, tantôt l'égarer...

Ewan McGregor compose à merveille un collaborateur de l'ombre récalcitrant parfois, facétieux souvent, doublure consentante mais pas dupe pour autant des jeux de pouvoirs dont il est tantôt le témoin tantôt l'instrument.

Polanski sème aussi de savoureux clins d'oeil tragi-comiques: un homme s'échine à remplir une brouette de feuilles mortes que le vent disperse, le «nègre» enfourche virilement son vélo... qui s'enlise lamentablement dans le gravier de l'allée.

Tendre pour ces héros trop humains ballottés par les événements, le regard du cinéaste se fait tranchant pour débusquer les rouages d'un jeu politico-médiatique dénué de sentiments.

Aussi charismatique qu'insaisissable, Adam Lang personnifie l'homme de pouvoir aux réseaux empreints de zones d'ombre, habitué à être servi, prêt à manipuler son entourage pour sa carrière.

Brutalement traîné dans la boue - il aurait favorisé l'enlèvement de supposés terroristes islamistes torturés par la CIA -, Lang se voit cloué au pilori, en direct à la télévision.

Il est forcé de rester aux États-Unis pour échapper à la justice de son pays, une expérience qui n'est pas sans rappeler celle de Polanski, resté plus de 30 ans sans fouler le sol américain après avoir fui le procès qui le rattrape aujourd'hui.

D'où un effet de miroir sur lequel joue le cinéaste avec ironie, notamment lorsque Lang s'efforce de composer une mine de circonstances, ni hautaine ni abattue... pour tenter de contenir la curée médiatique.