Les projets cinématographiques en attente de financement atterrissent en grand nombre sur le bureau des analystes de Téléfilm Canada. Avec des taux de refus qui frisent les 75 %, l'organisme tente maintenant de remédier à la situation - au grand dam de certains artisans de l'industrie - en limitant dès le départ la quantité de demandes.

Au début du mois de février, 40 scénarios de longs métrages francophones ont été déposés par des réalisateurs et des producteurs auprès de Téléfilm Canada pour obtenir de l'aide financière, en vertu du volet sélectif du programme d'aide au développement et à la production. Total de l'enveloppe annuelle: 11,5 millions, remis au cours de deux dépôts.

Parmi ces 40 films en devenir, moins d'une dizaine recevront une réponse positive lorsque l'organisme rendra son verdict en mai. Il arrive que des projets soient donc déposés à plusieurs reprises avant de se retrouver au grand écran. C'est le cas des Sept jours du talion et de Borderline qui ont finalement vu le jour grâce à une enveloppe discrétionnaire - enveloppe à la performance - que réussissent à obtenir certains producteurs.

«On essaie de financer la crème de la crème, affirme Michel Pradier, directeur portefeuille d'investissements de Téléfilm. C'est sûr qu'avec des taux de refus de cette ampleur-là, on ne se fait pas beaucoup d'amis, admet-il. C'est un peu décourageant lorsque, dans un dépôt, nous avons pour 55 millions de demandes et que nous avons seulement 5 millions (pour les financer).»

Pour cette raison, l'organisme veut s'assurer que les projets soumis aient atteint une certaine maturité afin d'éviter que les analystes prennent un temps fou à étudier des scénarios qui mériteraient plusieurs ajustements.

Téléfilm tente depuis quelques années de régler le problème à la base en limitant le nombre de demandes présentées au moment des dépôts qui ont lieu deux fois par année: à l'hiver et à l'automne.

Par exemple, depuis quelques années, les réalisateurs ou les producteurs qui se retrouvent dans le dernier tiers de la liste des refusés ne peuvent soumettre leur projet à la ronde suivante de dépôt. «Les 10 projets cinématographiques qui se retrouvent en queue de peloton en sont souvent à un état peu avancé», explique M.Pradier.

Un scénario qui n'obtiendrait pas l'aval de Téléfilm en mai et qui arriverait 38e sur le total des 40 - les premiers sur la liste étant ceux qui ont droit au financement - ne pourrait pas être proposé à nouveau à l'automne. L'équipe de production devra peaufiner son projet et attendre au moins un an avant de retenter sa chance. En plus de cette mesure, Téléfilm étudie la possibilité d'implanter d'autres moyens pour limiter la demande, confirme Michel Pradier. «Sinon, on va être obligés de mettre des barrières à l'entrée», dit-il sans donner plus de détails.

Mécontentement

Le contingentement que souhaite imposer l'organisme est toutefois loin de faire l'unanimité dans le milieu cinématographique. «C'est comme une obsession pour Téléfilm, se désole le producteur Pierre Even (C.R.A.Z.Y., Nitro). S'il y a beaucoup de projets soumis, c'est une bonne nouvelle, croit-il. Ça veut dire qu'il y a beaucoup de créateurs. La job de Téléfilm Canada c'est d'analyser les projets. Pour nous c'est important de conserver la possibilité d'en présenter.»

Selon lui, si on cherche à limiter la demande, c'est que l'organisme manque de personnel pour analyser les scénarios. Un argument que Téléfilm rejette du revers de la main.

La productrice Nicole Robert (Les 7 jours du talion) se désole aussi devant cette volonté de réduire le nombre de projets de films soumis. «On est victimes de notre talent parce qu'il y a trop de projets pour notre capacité de financement. Est-ce qu'on peut être pénalisés pour avoir trop de bons scénaristes, trop de beaux réalisateurs?» demande-t-elle.

Du côté de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC), autre bailleur de fonds important, les règles sont différentes. Lorsqu'un producteur essuie un premier refus, il peut soumettre son scénario au dépôt suivant. Toutefois, s'il ne parvient pas à obtenir le feu vert après trois tentatives, le projet meurt.

«Quand on encourage le cinéma d'auteur, on veut une diversité, souligne la directrice des communications de la SODEC, Isabelle Melançon. Ce n'est pas en restreignant le nombre de projets qu'on peut obtenir cette diversité.»

Avec la collaboration d'Anabelle Nicoud.