Depuis 1946, malgré des années de tumulte, le plus important festival de cinéma d’Europe de l’est se tient à Karlovy Vary, une charmante ville d’eaux enclavée dans les montagnes de la Bohême de l’ouest. Il ne figure pas sur le circuit des ligues majeures comme ceux de Cannes, Berlin ou Venise, mais ce festival de catégorie «A» occupe néanmoins une niche enviable, comparable à celles qu’occupent les manifestations de Rotterdam ou de Locarno.

Pendant la première semaine de juillet, la réputée station thermale voit sa population d’une cinquantaine de milliers d’habitants s’enrichir d’une centaine de milliers de visiteurs. Les cinéphiles, parmi lesquels plusieurs étudiants, viennent à Karlovy Vary pour se rincer l’œil d’oeuvres déjà présentées à la Berlinale ou sur la Croisette, de même que de plusieurs primeurs locales ou internationales, souvent réalisées par des cinéastes émergents. Dans ce beau coin de la République tchèque, les cinématographies des «pays de l’est» tiennent évidemment le haut du pavé.

Bon an mal an, le cinéma québécois est pourtant dignement représenté ici. Karlovy Vary rend même hommage cette année à Denis Villeneuve en donnant l’occasion aux cinéphiles carlobalnéens de revoir tous les films du réalisateur d’Incendies. Le programme comprend même le moyen-métrage REW-FFWD, produit à l’ONF en 1994, et Next Floor, court métrage primé à la Semaine de la critique du Festival de Cannes en 2008.

Pour celui dont la première visite en ces terres remonte en 1997 (l’année du film collectif Cosmos), cet honneur revêt un caractère un peu troublant.

«C’est une idée plutôt étrange, a déclaré le cinéaste québécois au public avant la présentation d’Un 32 août sur Terre devant une salle comble. Après tout, je n’ai pas fait beaucoup de films!». De nature modeste, Villeneuve n’a pas souhaité répondre à l’invitation des organisateurs pour la mise sur pied d’une classe de maître. Il a plutôt préféré joindre une discussion avec un autre paneliste, estimant ne pas avoir l’expérience requise.

Quelques heures plus tôt, au cours d’un petit déjeuner informel avec les représentants de la presse québécoise, Denis Villeneuve faisait écho à ses multiples projets, parmi lesquels deux sont en voie de prendre une forme plus précise.

S’il y a encore peu de nouveaux développements à propos de Prisoners, ce film hollywoodien dont le tournage devrait en principe se dérouler l’automne ou l’hiver prochain, Villeneuve a annoncé avoir donné son accord à un autre projet, cette fois-ci chapeauté par nul autre que Martin Scorsese. Ce dernier a d’ailleurs fait parvenir une lettre à Denis Villeneuve dans laquelle il évoque son admiration pour Incendies. Le réalisateur de Raging Bull a aussi ajouté dans sa missive qu’il aimerait bien voir le cinéaste québécois réaliser l’adaptation cinématographique du roman American Darling de Russell Banks (The Sweet Hereafter), dont l’auteur signe lui-même le scénario.

«Je ne suis pas groupie de nature, mais savoir que quelqu’un comme Martin Scorsese a pris deux heures de son temps pour regarder ton film et recevoir ensuite une lettre dans laquelle il dit qu’il a adoré, ça fait quand même quelque chose!», précise le principal intéressé.

Bien des questions restent encore à régler de façon plus concrète, mais American Darling est maintenant placé en bonne position sur la liste des (nombreux) projets auxquels le cinéaste compte s’attaquer. Pour ne pas être en reste, Denis Villeneuve vient aussi d’entreprendre seul l’écriture d’un nouveau scénario…

Douloureuse québécitude

1300 personnes se sont rassemblées dans la grande salle du complexe de l’hôtel Thermal pour assister à la première mondiale de Laurentie, un film coréalisé par Mathieu Denis et Simon Lavoie (Le déserteur), présenté ici hors-concours. Film audacieux de forme et de fond, duquel émane un fort relent de québécitude désespérée, Laurentie relate le parcours d’un jeune homme (Emmanuel Schwartz) dont le mal être existentiel et sexuel fait écho à la crise identitaire aiguë que traverse depuis toujours «la belle province». Divisé en chapitres, construit à la faveur de longs plans séquences où les dialogues sont réduits au strict minimum, Laurentie suscite parfois le malaise. Au point où, au terme de très longs plans «où il ne se passe rien en apparences», le public tchèque s’est même parfois mis à rire et à applaudir. Ce fut notamment le cas après une scène pendant laquelle un vieillard déambule lentement à l’aide d’une marchette dans une église; ou celle où trois gars écoutent du Sibelius sans broncher dans une cuisine pendant plusieurs minutes. Le sexe, montré de façon très franche (non sans causer un certain émoi), se révèle aussi triste que le destin du protagoniste. Cela dit, peu de gens sont sortis avant la fin. D’une certaine façon, cette qualité d’écoute a même un peu surpris les réalisateurs.

Les (très beaux) extraits de poèmes insérés dans le récit (oeuvres d’Anne Hébert, Marie Uguay, Saint-Denis Garneau, Hubert Aquin, et bien d’autres), mettent par ailleurs en exergue l’impasse dans laquelle est coincée notre question nationale.

«C’est un triste constat, faisaient remarquer les cinéastes après la projection. Rien n’a changé depuis l’époque où ces oeuvres ont été écrites, sinon que ces poètes avaient un pays à rêver. On ne sent même plus cet espoir aujourd’hui tellement notre lassitude collective est grande.»

Laurentie, dont l’impact est indéniablement puissant, prendra l’affiche chez nous cet automne. Nous y reviendrons.

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Les frais de voyage ont été payés par le Festival international du film de Karlovy Vary.