Qu'est-ce qu'un grand film? La question est régulièrement posée aux critiques de cinéma. Et elle est habituellement assortie d'une demande d'explication sur le système des cotes accordées aux différentes productions à l'affiche dans nos salles de cinéma.

Il n'y a malheureusement pas de réponse précise. Ni dans un cas ni dans l'autre. Un film pourra être «grand» aux yeux de quelqu'un parce qu'il touche une part plus intime de son être, et tout aussi «grand» dans l'esprit de son voisin pour des raisons qui auront davantage à voir avec ses valeurs artistiques. Quant au système de cotes, une part de subjectivité entre bien entendu en ligne de compte, mais pas seulement. Une chose est certaine toutefois: la notion de «chef-d'oeuvre instantané» est antinomique. Pour atteindre ce noble statut, une oeuvre doit en effet résister à l'épreuve du temps.

Des 10 longs métrages nouvellement classés «chefs-d'oeuvre» par l'agence de presse Mediafilm.ca, le plus récent est déjà âgé d'un peu plus de 25 ans (Le Sacrifice d'Andrei Tarkovski - 1986). Trois d'entre eux ont été produits dans les années 80 (Le Sacrifice, Fanny et Alexandre d'Ingmar Bergman, 1982; et Paris, Texas de Wim Wenders, 1984); cinq dans les années 70 (Mon oncle Antoine de Claude Jutra, 1971; A Woman Under the Influence de John Cassavetes, 1974; Les ordres de Michel Brault, 1974; One Flew Over the Cuckoo's Nest de Milos Forman, 1975; Le tambour de Volker Schlöndorff, 1979); et deux dans les années 60 (Belle de jour de Luis Bunuel, 1967; Bonnie & Clyde d'Arthur Penn, 1967).

Parmi les 145 longs métrages élevés au rang de chef-d'oeuvre (cote 1) jusqu'à maintenant chez Mediafilm.ca, trois ont été produits chez nous. Deux d'entre eux, Pour la suite du monde (Pierre Perrault et Michel Brault) et Les ordres (Michel Brault), ont eu l'honneur d'être sélectionnés en compétition officielle au Festival de Cannes. Le chef-d'oeuvre de Michel Brault fut même gratifié là-bas d'un prix de la mise en scène.

Il est vrai qu'à cette époque, le cinéma québécois était dans les bonnes grâces des bonzes du Festival. Entre 1972 et 1980, pas moins de sept longs métrages d'ici furent inscrits dans la catégorie phare du plus prestigieux festival de cinéma du monde. Inutile de dire que les temps ont bien changé. Seuls Léolo de Jean-Claude Lauzon en 1992, et Les invasions barbares de Denys Arcand en 2003, ont pu prétendre à une Palme d'or depuis cette époque. Deux entrées compétitives en 20 ans. Il y a presque lieu de parler ici d'une disette.

Tous les éléments semblaient réunis cette année pour mettre fin à cette léthargie grâce au nouveau film de Xavier Dolan Laurence Anyways, pressenti pour la compétition dans pratiquement tous les médias spécialisés internationaux. Mais non. Celui que l'on nomme le jeune prodige québécois dans la presse française se pointera de nouveau sur la Croisette en sélection officielle à Un certain regard, en marge de la grande compétition. L'exploit n'est pas mince, remarquez. Mais à l'heure où le cinéma québécois rayonne comme jamais sur la scène internationale, glanant même deux nominations consécutives aux Oscars (Incendies de Denis Villeneuve et Monsieur Lazhar de Philippe Falardeau), comment diable devra-t-on s'y prendre pour enfin percer la muraille cannoise? Bien sûr, le patrimoine cinématographique mondial s'est enrichi d'autres «petites» cinématographies au cours des dernières décennies. On pense aux films venus d'Iran, de la Corée du Sud, du Mexique, de tant d'autres encore. Dans la masse toujours croissante de productions cinématographiques soumise aux différents comités de sélection, la rivalité est encore plus grande. D'où le caractère très honorable d'une sélection, peu importe sa nature. À quand une sélection en compétition officielle pour un long métrage québécois à Cannes? Nul ne sait. Comme on dit dans le langage sportif, on serait «dus». En attendant, on ne peut que s'atteler à la tâche. Et espérer produire quelque chose comme un grand film.

Hommage à Michel Brault

Des trois longs métrages québécois classés dans la catégorie «chef-d'oeuvre» par Mediafilm.ca, un seul nom revient autant de fois dans les listes techniques: Michel Brault. Coréalisateur, avec Pierre Perrault, de Pour la suite du monde (1962); directeur photo de Mon oncle Antoine de Claude Jutra (1971); et réalisateur du film Les ordres (1974), le vétéran reçoit ce week-end au Festival international de documentaire Hot Docs de Toronto un prix pour l'ensemble de son oeuvre. Hommage pleinement mérité, il va sans dire.