La filmographie d’Alain Resnais est jalonnée de tant de grands titres que sa simple présence dans la compétition mérite déférence. Le vénéré cinéaste avait obtenu, il y a trois ans, un «grand prix spécial pour l’ensemble de son œuvre», sorte de prix de consolation qu’avait concocté le jury pour inscrire son nom au palmarès, mais pas son film Les herbes folles. Qu’à cela ne tienne, le réalisateur d’Hiroshima mon amour, toujours en quête d’une Palme d’or, est de retour sur la Croisette avec Vous n’avez encore rien vu, lequel pourrait bien être un testament cinématographique. Mais le bientôt nonagénaire (le mois prochain), toujours très vert d’esprit, n’insiste pas là-dessus.

«Il n’ y a aucune relation entre mes films, a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse où il était entouré de plusieurs acteurs. Je n’ai pas l’impression d’une carrière. J’essaie simplement de ne pas me répéter et de ne pas penser au film précédent.»

Vous n’avez encore rien vu, dont le titre provient d’une blague récurrente en salle de montage, partage néanmoins beaucoup d’affinités avec les plus récents films du cinéaste.

Théâtre et cinéma s’entremêlent

Plusieurs acteurs, qui jouent leur propre rôle, apprennent ainsi, dès le début de l’histoire, la mort d’Antoine d’Anthac (Denis Podalydès), un célèbre auteur dramatique dont ils furent les interprètes de sa pièce Eurydice au fil des décennies. On leur demande de se rendre de toute urgence dans la maison du dramaturge pour lecture du testament. Sur place, tous ces comédiens réunis ont pour mission de visionner une captation de cette œuvre par une jeune troupe qui désirerait monter la pièce. Du coup, ces acteurs, de toutes générations, se mettent au diapason. Et se la jouent. Les personnages sont tour à tour défendus par des comédiens différents. Sabine Azema, Anne Consigny, Anny Duperey, Pierre Arditi, Michel Piccoli, Mathieu Amalric, Hippolyte Girardot. D’autres aussi. Une brochette pour ainsi dire.

«On met toujours le théâtre et le cinéma en opposition, dit le cinéaste. C’est une idée reçue. Comme si l’un était noble et l’autre secondaire. J’entends ça depuis que j’ai l’âge de 14 ans. Je me souviens avoir vu Louis Jouvet au Théâtre de l’Athénée, qui jouait du Giraudoux, et je me suis demandé pourquoi on ne pouvait pas obtenir cet effet-là au cinéma. Il existe pourtant une gémellité entre les deux formes. On peut tenter de s’en servir. C’est ce que je tente de faire depuis mon premier film.»

Inspiré de deux pièces de Jean Anouilh, Eurydice et Cher Antoine, Vous n’avez encore rien vu se démarque par l’ingéniosité de la mise en scène, et aussi, bien sûr, par la qualité d’interprétation d’une distribution d’ensemble de haut niveau. Il émane de ce film un charme suranné, voire même un peu désuet, dans lequel se fait néanmoins valoir parfois l’œil espiègle du cinéaste. Il serait toutefois étonnant qu’Alain Resnais obtienne sa première Palme d’or grâce à ce film.

Trois candidats 

À mi-parcours, trois candidats sérieux pour l’ultime laurier du Festival. D’abord, Michael Haneke, Palme d’or 2009 avec Le ruban blanc, s’est d’emblée placé parmi les favoris grâce à Amour. Dans ce très grand film, un autre dans sa collection, Haneke raconte, sans complaisance aucune, la vie d’un couple de personnes âgées quand la maladie fait ses ravages. Et le détachement de celui qui doit faire le deuil de son amour. Comme toujours dans le cinéma d’Haneke, la mise en scène est marquée d’une extrême précision, d’une rigueur exceptionnelle, et les compositions d’Emmanuelle Riva et Jean-Louis Trintignant sont rien de moins que sublimes.

Un autre ancien «palmé», le Roumain Cristian Mungiu (4 mois, 3 semaines et 2 jours), a aussi livré un film admirable. Au-delà des collines, dans lequel on tente de guérir une jeune fille «possédée du démon» à l’intérieur d’un couvent retiré à la campagne, dirigé par un prêtre rigoriste, se distingue grâce à la finesse de sa réalisation. Le dernier acte, parfaitement jubilatoire, est très grinçant.

Like Someone in Love, nouvel opus du cinéaste iranien Abbas Kiarostami (Le goût de la cerise, Palme d’or 1997) est l’une des grandes déceptions de la compétition. Visuellement splendide, marqué par de magnifiques plans séquences, ce film tourné au Japon tourne à vide sur le plan du récit. La relation énigmatique entre une jeune call-girl et un vieil écrivain sociologue, aura suscité plus de bâillements que d’intérêt auprès des festivaliers.

Par ailleurs, un produit hollywoodien standard comme Lawless (John Hillcoat), film de gangsters très violent sans aucune espèce d’originalité, n’a pas sa place en compétition.

De son côté, La chasse, réalisé par Thomas Vinterberg (Festen), a de nombreux appuis au sein de la communauté festivalière, mais cette histoire d’un homme faussement accusé d’abus sexuel sur une fillette est traitée de façon très convenue. Mads Mikkelsen offre toutefois une performance solide.

Quant à Another Country, du Coréen Hong Sangsoo (Conte de cinéma), on se demande comment cette chose étrange pourrait séduire les membres du jury. Quand on réussit à faire d’Isabelle Huppert une mauvaise actrice, c’est qu’il y a vraiment un problème…