Film sur quatre prostituée de Marrakech, Much Loved a été interdit de diffusion au Maroc, pays d'origine du réalisateur Nabil Ayouch, avant même sa présentation à la Quinzaine des réalisateurs de Cannes. Or, ce film arrive au Festival du nouveau cinéma (FNC) bardé de critiques positives. En entrevue, le cinéaste dit avoir voulu rendre hommage aux femmes de son pays.

Une des toutes premières séquences du long métrage Much Loved de Nabil Ayouch donne le ton. Quatre prostituées marocaines se préparent à une nuit chaude avec des clients étrangers à Marrakech. Or, on dirait qu'elles s'en vont... à la guerre.

Le rythme, la musique, le langage, les postures, le parcours en voiture dans les rues de la ville, tout dans cette séquence donne l'impression que ces femmes sont davantage dans une situation de combat que de séduction, qu'elles ne vont pas chercher de l'argent, mais battre les méandres de la nuit pour survivre.

Images prenantes et pénétrantes. L'histoire de Nora, Randa, Soukaina et Hlima nous saute pratiquement à la gorge. Et ne nous lâchera plus qu'au terme d'une équipée hallucinante de 105 minutes.

Le cinéaste Nabil Ayouch confirme l'impression. «Beaucoup de choses ici relèvent du film de guerre. Il y a quelque chose de l'ordre du combat. Ces femmes sont des guerrières, des amazones des temps modernes. Il y a chez elle cette notion de résistance toujours présente dans leur quotidien.»

Résistance dans le sens de survie. Parce que dans l'espace public, ces femmes sont rejetées, ignorées, conspuées, intimidées.

«Elles ne sont pas vues», s'indigne M. Ayouch.

«Par rapport à ce qu'elles donnent et ce qu'elles apportent, elles demeurent invisibles. Elles ne sont pas regardées. À travers mon film, il y a donc nécessairement une volonté de libérer une parole.»

Dans chacun de ses films, constate le cinéaste, on retrouve un personnage de prostituée. Encore là, il y a cette volonté de faire voir. Mais pour en faire le coeur d'un film, M. Ayouch dit avoir eu des hésitations, à savoir comment parler d'elles.

«C'est en rencontrant ces filles [les actrices non professionnelles du film ont baigné d'une façon ou d'une autre dans le milieu de la prostitution] que je me suis rendu compte que je portais un regard sur elle et que j'avais envie de le traiter sans fard, sans maquillage, avec tendresse et affection et aussi avec un mélange de fascination», poursuit le réalisateur.

Controverse

Or, la controverse l'a rattrapé avant même que son film ne soit projeté en première mondiale à la Quinzaine des réalisateurs de Cannes. Des extraits du film mis en ligne pour promotion ont soulevé l'ire des dirigeants marocains qui l'ont frappé d'interdit.

Autant le réalisateur que ses actrices ont été pris à partie. Ce fut entre autres le cas de Loubna Abidar, seule comédienne professionnelle de la distribution et tenante du rôle principal de Nora.

«Beaucoup de Marocains rencontrés en France m'ont dit avoir adoré le film, dit-elle. Mais au Maroc, où, malheureusement, les gens ne l'ont pas vu, on me demande: pourquoi tu as fait mal à la femme marocaine? Ou encore: pourquoi tu détestes le Maroc? C'est tout le contraire et c'est très blessant, car j'ai fait un film avec beaucoup d'amour.»

«J'ai donné deux ans de ma vie pour ce rôle et je l'ai fait parce que j'aime le Maroc et toutes les femmes arabes. Et je veux qu'à travers le cinéma et l'art, les femmes arabes se réveillent un peu.»

Elle aussi emploie le mot «guerrière» pour décrire son personnage. «Nora est une femme géniale. Malgré sa colère, elle donne de l'amour à tout le monde, que ce soit à sa famille, à son chauffeur de taxi, aux filles qu'elle héberge sans vraiment les connaître et avec qui elle construit, si on peut dire, une petite famille. C'est aussi une rêveuse.»

En tant que femme et en tant que comédienne, Mme Abidar dit espérer que toutes les femmes arabes puissent voir le film, et plusieurs fois plutôt qu'une. «Ceci, pour montrer que les femmes arabes sont en train de se battre. Et que même si elles subissent beaucoup de mal et de haine, elles sont fortes.»

Quant à Nabil Ayouch, il dit avoir simplement voulu, avec Much Loved, écrire une ode à la femme marocaine. «Ces filles, c'est ce que j'ai envie de dire, sont aussi marocaines que les autres et il faut aussi qu'on les regarde.»

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Much Loved sera présenté dimanche 11 octobre, à 13 h, au Quartier latin (salle 10) ainsi que mercredi 14 octobre, à 21 h, à l'auditorium Alumni (Université Concordia) dans le cadre du FNC.