Harry Belafonte est arrivé en retard sous le crépitement des flashes et des caméras. Il est resté debout un moment, veston beige et boule à zéro, avant de demander aux photographes d'éteindre leurs appareils pour pouvoir entendre les questions.

Le chanteur donnait hier une conférence de presse courue pour marquer sa présence au 8e Festival du film black de Montréal, qui vient de l'honorer de son premier prix humanitaire. Mais le chanteur n'a pas parlé de musique ou presque. Il a surtout parlé de politique, une partie de lui que l'on connaît moins, et qui est pourtant au coeur de son parcours.

«Quand les gens me demandent comment le chanteur est devenu un militant, je leur dis que c'est le contraire. Le fait est que je suis un militant qui est devenu un chanteur», a lancé M. Belafonte.

Dans le film Sing your Song, qui sera projeté ce soir à l'Université Concordia en présence du principal intéressé, on apprend en effet qu'Harry Belafonte fut beaucoup plus qu'un chanteur de variétés au sourire séduisant. Depuis les années 50 et 60, l'artiste lutte activement pour la cause des Noirs aux États-Unis et dans le monde. Ses combats pour les droits civils, le SIDA, contre l'apartheid et la politique étrangère américaine sont bien connus et documentés, même si on a tendance à l'oublier.

Un pays en quête d'identité

De toute évidence, il n'a pas baissé la garde. À 85 ans bien sonnés, son discours reste profondément engagé. Questionné sur les gens de la marge, il répond qu'il faudrait plutôt se questionner sur ceux qui ont le pouvoir et qui marginalisent. «On parle tout le temps des pauvres Noirs, des gros Noirs, des Noirs obèses, souligne-t-il. Il faudrait maintenant commencer à parler des Blancs, pour qu'ils nous expliquent ce qu'ils font, et pourquoi ils le font.»

M. Belafonte ajoute qu'il ne reconnaît plus l'Amérique dans laquelle il a passé sa jeunesse. Il déplore que les États-Unis aient perdu certaines valeurs de gauche en cours de route et affirme que le pays est actuellement en quête d'identité. «Nous cherchons un nouveau chemin», lance le chanteur en évoquant l'immense «atout» que représente la diversité sociale et culturelle américaine.

Obama est-il un pas dans la bonne direction, en dépit des immenses déceptions entourant son premier mandat? Il en est convaincu, pourvu que son peuple l'appuie. «On s'est bien rendu compte qu'il ne pourra pas le faire tout seul», précise celui qui a l'oreille des présidents démocrates depuis le début des années 60, alors qu'il avait sensibilisé John F. et Bobby Kennedy au problème de la ségrégation.

De toute façon, ajoute-t-il, impossible de faire pire que les républicains, et surtout Mitt Romney, que Belafonte a, une fois de plus hier, comparé à «quelque chose qui s'approche de la fin du monde».

Le rôle du rap

Et la chanson dans tout ça? Elle doit continuer de jouer un rôle politique et social, bien sûr. Il y a 50 ans, Belafonte faisait la promotion de la culture black en chantant le répertoire folk ou calypso des Amériques. Aujourd'hui, dit-il, aux artistes rap de porter le flambeau.

«Le hip-hop peut faire une différence. C'est une communauté qui dialogue beaucoup. Qui se demande à quoi elle sert, où elle va. On ne peut malheureusement pas en dire autant du rock'n'roll... même si j'aime bien Bruce Springsteen!»

Sing your Song est présenté ce soir, 19h, dans la salle H-110 de l'Université Concordia. La projection sera suivie d'une séance de questions avec Harry Belafonte.

www.montrealblackfilm.com

Souvenirs d'Harry...

Le 27 août 1953, le jeune Harry Belafonte donnait son premier concert à Montréal. C'était il y a 50 ans. Et notre collègue Claude Gingras, lui aussi au début de sa carrière, était présent. «Après le concert, je l'ai raccompagné à son hôtel. Personne ne lui avait demandé d'autographe pour la simple raison que personne ne le connaissait!» Voici des extraits de sa critique, parue deux jours plus tard dans La Presse.

Harry Belafonte, acteur et chanteur original

Ceux qui aiment le nouveau seront bien servis par le numéro sensationnel que présente depuis jeudi, sur la scène du Séville, le chanteur Harry Belafonte. L'originalité de ce jeune artiste tient à l'intensité dramatique qu'il apporte à ses interprétations et à l'exclusivité à peu près complète de ses chansons, qu'il a puisées pour la plupart dans le folklore nègre des États-Unis et qu'il accompagne d'une mise en scène soigneusement réglée, sobre et intelligente, où tout est à sa place, où chaque geste a son importance, sa signification.

Soulignons en passant que, même si Belafonte a joué maintes fois avec des troupes de music-hall du Broadway et fait des tours de chant dans une dizaine des plus chics cabarets américains, son apparition au Séville marque ses débuts comme soliste de music-hall.

Belafonte porte en scène un costume très simple et, généralement, seul son visage est éclairé. Le chanteur interprète à sa façon des «Negro spirituals» peu connus comme «Timber», «Scarlett Ribbons» ou «Hold'em Joe» et cette fameuse chanson qui a tant contribué à son succès, «Mathilda, Mathilda».

À 26 ans, Harry Belafonte est déjà une grande vedette. Il a atteint le succès avec une incroyable rapidité, d'où le surnom de «Monsieur Cendrillon» que lui ont donné ses collègues.