(Paris) Christopher Nolan est de retour là où on ne l’attendait pas, sur le terrain du biopic, revisité à sa façon dans Oppenheimer, film qui dresse un portrait tortueux de l’Américain qui a mis au point la bombe atomique.

Très attendu, le film qui sort mercredi en salles, retrace en 3 h les moments clés de la vie de Robert Oppenheimer (1904-1967), un physicien qui a marqué l’histoire des États-Unis et du XXe siècle, et contribué à faire entrer le monde dans une nouvelle ère : celle du nucléaire.

Comme à son habitude, l’auteur du blockbuster d’action Tenet, du film de guerre Dunkerque ou de l’épopée astrale Interstellar déploie d’énormes moyens, avec un tournage sur pellicule dans des formats inédits (dont l’Imax noir et blanc), pour un blockbuster à la construction complexe et à l’ambition visuelle revendiquée.

Le rôle-titre est tenu par l’Irlandais Cilian Murphy, habitué des plateaux de Nolan et également connu pour la série Peaky Blinders. Emily Blunt joue son épouse Kitty, Matt Damon interprète Leslie Groves, le général chargé de superviser la fabrication de la bombe, et Robert Downey Jr. incarne Lewis Strauss, homme politique qui précipitera la chute du physicien.

Au cœur du film, l’épopée scientifique de la course à l’atome, sur la base secrète de Los Alamos (Nouveau-Mexique) où, en pleine Seconde Guerre mondiale, scientifiques et militaires du Projet Manhattan s’activent pour mettre au point la bombe avant les nazis.

Cette poignée d’hommes est à la fois consciente de faire franchir un point de non-retour à l’humanité, en la dotant d’une arme capable de détruire la planète entière, et galvanisée par la perspective de mettre fin au conflit mondial. Et peut-être, par la dissuasion, à toute forme de guerre dans le futur.

En point d’orgue, le premier essai de la bombe, baptisé « Trinity », et reproduit dans le désert du Nouveau-Mexique sans effets numériques, mais avec des trucages à l’ancienne, l’une des marques de fabrique de Christopher Nolan.

« Dans notre chair »

PHOTO JULIEN DE ROSA, AGENCE FRANCE-PRESSE

Christopher Nolan, réalisateur d’Oppenheimer

Avec les images de synthèse, « il est difficile d’instiller la peur. J’ai donc mis au défi mes équipes de faire avec le monde réel, analogique », a déclaré Christopher Nolan à l’AFP lors d’une rencontre à Paris. « Ce dont nous avions besoin, c’était d’essayer de donner à notre public une idée de ce que cela faisait d’être là » lors de la première explosion nucléaire, a poursuivi le cinéaste de 52 ans.

Sur le plateau, au moment de l’explosion, « nous avons tous ressenti […] ce que ce moment signifiait dans l’Histoire. Nous le ressentions en quelque sorte dans notre chair », a ajouté Cilian Murphy. L’acteur de 47 ans a expliqué s’être préparé pendant six mois pour donner corps à l’inventeur de la bombe atomique.

Un rôle riche et très complexe, tant le film, adapté d’une biographie très fouillée (Robert Oppenheimer, Triomphe et tragédie d’un génie, de Kai Bird et Martin J. Sherwin, Le Cherche-Midi) veut explorer les dilemmes, contradictions et multiples facettes d’un homme dont les secrets n’ont jamais été percés.

Personnage ambivalent, écrasé par la responsabilité et le doute après les attaques nucléaires des 6 et 9 août 1945 à Hiroshima et Nagasaki qui ont fait au moins 210 000 victimes et ont été présentées par les États-Unis comme nécessaires pour mettre fin à la guerre, Oppenheimer est aussi l’une des victimes les plus célèbres du maccarthysme, en pleine guerre froide.

Du miel pour Nolan, qui n’aime rien tant que mêler les temporalités, les récits et jouer avec les paradoxes, au risque de dérouter. Alternant noir et blanc et couleur, pour rendre compte de la subjectivité de certaines scènes racontées du point de vue d’Oppenheimer, le cinéaste met longuement en scène des auditions cruciales dans la vie du physicien, illustrant ses déboires face à une administration lancée dans la chasse aux sympathisants communistes.