Ayant d’abord fait sa marque dans le domaine du vidéoclip pour ensuite établir sa solide réputation en réalisant des documentaires consacrés aux arts, Raymond St-Jean (Une chaise pour un ange, Louise Lecavalier – Sur son cheval de feu) change complètement de registre en proposant un premier long métrage de fiction librement inspiré de la vie de Donald Lavoie, l’un des plus célèbres tueurs à gages du Québec. Entretien.

Quand on regarde votre parcours, on imagine mal comment un cinéaste ayant consacré la majeure partie de son travail à des films d’art ou à des captations de pièces de théâtre peut en arriver à vouloir réaliser un long métrage campé dans le milieu criminel des années 1970. D’où est venue cette idée ?

En cherchant un sujet, je suis revenu un peu à mes amours d’adolescence, à l’époque où s’est tenue la grande Commission d’enquête sur le crime organisé [CECO], à laquelle je me suis beaucoup intéressé. C’est un monde qui me fascine et c’est à ce moment que j’ai eu vent de l’histoire de Donald Lavoie. Je me suis mis à l’imaginer maintenant vieux, forcé de revenir dans le milieu. J’ai alors commencé à bricoler un scénario, mais comme je ne suis pas vraiment scénariste, un producteur m’a suggéré d’aller rencontrer Martin Girard [Nitro Rush, Saint Narcisse], avec qui ça a connecté tout de suite. On s’est dit que la période connue de la vie de ce gars-là était déjà un film en soi.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Après avoir réalisé plusieurs documentaires sur les arts, Raymond St-Jean propose Crépuscule pour un tueur, son premier long métrage de fiction.

Mis à part les deux protagonistes, Donald Lavoie (interprété par Éric Bruneau) et Claude Dubois (le patron de la pègre du Sud-Ouest est joué par Benoît Gouin), tous les noms ont été changés. Jusqu’où est allée la notion de liberté artistique dans ce cas-ci ?

Nous avons fait face aux problèmes classiques que rencontrent tous ceux qui racontent la vie de quelqu’un qui existe. Des questions légales se posent. On a pu conserver les noms des deux personnages principaux, mais tous les autres ont été changés et certains personnages ont été réinventés. On a travaillé pour que tout soit intéressant sur le plan dramatique, mais les évènements qu’on voit dans le film sont véridiques, tout comme les moments charnières du récit.

PHOTO FOURNIE PAR FILMOPTION INTERNATIONAL

Dans Crépuscule pour un tueur, Benoît Gouin incarne Claude Dubois, patron de la pègre du Sud-Ouest de Montréal au cours des années 1970.

À la sortie de Confessions, qui s’intéresse au tueur à gages Gérald Gallant, Luc Picard nous a confié que même s’il avait pu, il aurait refusé de le rencontrer. S’il ne vivait pas aujourd’hui reclus sous une autre identité, auriez-vous souhaité une rencontre avec le vrai Donald Lavoie ?

Non, pas plus que les gens qui l’ont connu de très près, parce qu’on se serait retrouvés devant plusieurs histoires différentes, chacun ayant sa propre version. Ce n’était pas nécessaire. Al Capone est devenu un jour un personnage de fiction qui est entré dans la mythologie sans qu’on sache qui il est vraiment. On a aussi ce genre de personnages ici : dans Monica la mitraille, dans Requiem pour un beau sans-cœur, pour lequel Robert Morin s’est inspiré de Richard Blass, bref, on a déjà touché à ça. Ce sont des histoires importantes, surtout que celle de Donald Lavoie et du clan Dubois correspond à l’époque de la montée du nationalisme québécois. Les criminels organisés locaux s’affirmaient face aux autres groupes criminels – mafia italienne, mafia irlandaise – qui se partageaient les différents quartiers de la ville. Le défi pour moi était de recréer les années 1970 sans tomber dans le pastiche ou la caricature.

Qu’est-ce qui vous intéressait particulièrement dans le parcours de Donald Lavoie, au point de vouloir y consacrer un long métrage ?

Il y a d’abord la déchéance d’une vedette créée par les médias, qui se croit au-dessus de ses affaires et qui n’arrête pas de prendre de mauvaises décisions, souvent dangereuses. Je souhaitais aussi évoquer le rapport à ces monstres qui ne sont pas forcément hideux, ce qui est extrêmement troublant. La violence étant souvent traitée comme un spectacle dans notre société, j’ai voulu la montrer de façon très sèche, très directe. Le contrat de Lavoie était d’entrer, de tirer et de sortir.

Éric Bruneau s’est souvent fait dire qu’il ressemblait physiquement au vrai Donald Lavoie. Ce fut une évidence pour vous ?

Ce n’est pas la seule raison pour laquelle je l’ai choisi, évidemment. Mais oui, Éric ressemble à Donald Lavoie. Quand il est arrivé pour l’audition, il cherchait encore, même s’il était déjà extrêmement bien préparé. Et il a cherché avec moi. C’est ce que j’ai aimé chez lui. Éric s’est vraiment beaucoup investi dans ce film.

Crépuscule pour un tueur prendra l’affiche le 10 mars.