Avec Désobéir : le choix de Chantale Daigle, le nombre d’histoires de femmes marquantes du Québec portées au petit écran grimpe à quatre, alors qu’on en compte quatre fois plus du côté des hommes. Un « non-sens », déplorent des acteurs de l’industrie.

Réalisée par Alexis Durand-Brault, la minisérie Désobéir : le choix de Chantale Daigle atterrira sur Crave mercredi. En racontant comment cette icône du mouvement pro-choix s’est battue jusqu’en Cour suprême pour revendiquer son droit d’avorter en 1989, l’offrande des auteurs Isabelle Pelletier et Daniel Thibault vient grossir les rangs d’un club hyper sélect de téléséries biographiques féminines. Un club qui comprend Alys Robi (1995), un drame en quatre épisodes de TVA dans lequel Joëlle Morin campait la célèbre chanteuse québécoise, et Dr Lucille : un rêve pour la vie (2001), un téléfilm dans lequel Marina Orsini incarnait la médecin, chirurgienne et humanitaire Lucille Teasdale.

En étirant légèrement les règles, on pourrait également compter Le monde de Gabrielle Roy, une récente série d’ICI ARTV inspirée de l’œuvre de l’auteure manitobaine ayant vécu de nombreuses années au Québec.

PHOTO FOURNIE PAR RADIO-CANADA

Romane Denis dans Le monde de Gabrielle Roy

Les séries biographiques consacrées aux hommes importants du Québec sont beaucoup plus fréquentes. La Presse en recense 16 exemples, dont Cher Olivier (1997) sur l’humoriste Olivier Guimond, Willie (2000) sur Willie Lamothe, Jean Duceppe (2002), Félix Leclerc (2005), Desjardins : La vie d’un homme, l’histoire d’un peuple (1990), Malenfant (2011) sur l’entrepreneur Raymond Malenfant, Duplessis (1978) et Béliveau (2017) sur l’ancien capitaine du Canadien de Montréal.

PHOTO FOURNIE PAR SÉRIE PLUS

Luc Picard dans Malenfant

Les deux séries sur René Lévesque font également partie du groupe : René Lévesque (1994) avec Denis Bouchard, et René Lévesque – Le destin d’un chef (2006) avec Emmanuel Bilodeau.

PHOTO ROBERT MAILLOUX, ARCHIVES LA PRESSE

Emmanuel Bilodeau dans René Lévesque-Le destin d’un chef

Signalons qu’on exclut de l’opération les deux saisons de Chartrand et Simonne (2000 et 2003) avec Luc Picard et Geneviève Rioux, puisqu’elles s’intéressaient autant au syndicaliste qu’à son épouse, la militante féministe.

Ces statistiques décontenancent les scénaristes de Désobéir. En entrevue, Isabelle Pelletier et Daniel Thibault peinent à croire qu’un fossé aussi profond sépare les deux sexes. « Je n’en reviens pas ! », s’exclame Daniel Thibaut.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Les auteurs Daniel Thibault et Isabelle Pelletier signent la série télé Désobéir : le choix de Chantale Daigle.

La cause des femmes, on croit que c’est un acquis, mais avec #metoo, on a tous vu qu’on était encore très loin d’une forme d’égalité. Et cette inégalité s’est manifestée dans notre façon de raconter le passé.

Daniel Thibaut, auteur de Désobéir : le choix de Chantale Daigle.

Facteurs historiques

Pour Anouk Bélanger, professeure au département de communication sociale et publique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), des facteurs historiques expliquent cet écart hommes-femmes.

« Les femmes ont été écartées de l’espace public pendant des années. Des postes décisionnels aussi. C’est pour cette raison qu’on a longtemps pensé que chaque fois qu’on parlait des hommes, ça intéressait tout le monde, et qu’aussitôt qu’on parlait des femmes ou qu’on donnait la parole aux femmes, ça devenait un intérêt de niche.

Donc lorsqu’on voulait trouver des histoires pour rallier un large public, on privilégiait des histoires d’hommes, au détriment des histoires de femmes.

Anouk Bélanger, professeure à l’UQAM

Rattrapage souhaité

Pendant plusieurs années, Karine Vanasse a tenté de produire une série sur Irma Levasseur, la fondatrice de l’hôpital Sainte-Justine de Montréal. Faute de réseau preneur, son projet n’a jamais abouti.

En entrevue, la comédienne déplore le faible nombre de séries biographiques féminines. Elle estime qu’il s’agit d’un « non-sens ».

Malgré les grandes choses qu’elles ont réalisées, les femmes sont moins mises de l’avant. Ça serait bien qu’elles fassent l’objet d’un plus grand nombre de séries [biographiques].

Karine Vanasse, comédienne

« Ça nous permettrait de rattraper des parties de l’histoire qu’on a mises de côté. Parce qu’une des grandes qualités des fictions inspirées d’histoires vraies, c’est d’éduquer les gens », ajoute la comédienne.

Le discours de Karine Vanasse trouve écho chez Marina Orsini. « Il y a plein d’autres grandes femmes qui ont marqué notre histoire, comme Pauline Marois, qui s’est frayé un chemin en politique. Plusieurs d’entre elles n’ont pas été mises de l’avant à cause du patriarcat », déclare la vedette de Dr Lucille : un rêve pour la vie.

PHOTO FOURNIE PAR RADIO-CANADA

Marina Orsini dans Dr Lucille : un rêve pour la vie

À Radio-Canada, on aimerait bien corriger la situation, mais l’opération s’annonce complexe, puisque depuis quelque temps, peu d’auteurs proposeraient des séries biographiques.

« Peut-être que Désobéir va créer un effet d’entraînement, suggère André Béraud, premier directeur, émissions dramatiques et longs métrages de Radio-Canada. Des fois, ça vient par vague. Est-ce que c’est le temps d’y revenir ? On verra. »

Le vent qui provient des États-Unis et d’ailleurs pourrait être favorable au redressement, croit André Béraud. Il mentionne la parution du film hollywoodien The Woman King (en français, La force des femmes) avec Viola Davis en septembre dernier. Il relève également l’initiative du réseau français France 2, qui a diffusé en 2022 Les effrontées : le cinéma au féminin, une collection documentaire en quatre volets qui explorait la place des femmes dans l’industrie cinématographique.

« Ça pourrait traduire une volonté de parler des femmes qui sont souvent dans l’ombre, mais qui ont construit qui nous sommes », observe André Béraud.

Espoir

Optimiste, Marina Orsini a foi en l’avenir. « II y aura toujours un plafond de verre à défoncer, un chemin à défricher. Lentement, mais sûrement, les choses changent. Je l’ai remarqué. »

Anouk Bélanger de l’UQAM confirme cette impression d’ouverture par rapport aux femmes. « Mais c’est relativement récent comme phénomène, comme l’éveil aux cultures autochtones, aux cultures des communautés minoritaires, etc. »

« Oui, l’histoire, c’est l’histoire des grands hommes, comme René Lévesque, Bombardier, Félix Leclerc, sir Wilfrid Laurier… Mais c’est aussi l’histoire de plein d’autres personnes. Ça vaut la peine d’en parler. Ça nous permet d’avoir une compréhension plus complète. Les femmes dans l’histoire et l’expérience des femmes, ce n’est plus un petit sujet de niche qu’on cache au public. »