On pense tous connaître l’histoire de Chantale Daigle1, mais au fond, on connaît seulement les grands titres, estiment les auteurs de Désobéir : le choix de Chantale Daigle, une minisérie qui promet de dévoiler les dessous insoupçonnés du parcours de cette femme, qui s’est battue jusqu’en Cour suprême pour revendiquer son droit d’avorter en 1989.

En entrevue quelques jours avant l’arrivée sur Crave du drame biographique en six épisodes, Isabelle Pelletier et Daniel Thibault paraissent zen, même s’ils savent combien leur offrande est attendue. Car depuis l’éclatement de l’affaire Chantale Daigle et Jean-Guy Tremblay, plusieurs projets de films et séries ont germé, mais aucun n’a abouti.

Celui qu’on pourra regarder dès mercredi, en cette Journée internationale des femmes, est produit par ALSO (Mégantic, Portrait-robot), et met en vedette Éléonore Loiselle (L’échappée) et Antoine Pilon (Entre deux draps). La première campe la jeune femme enceinte de Chibougamau ; le second incarne son conjoint manipulateur et agressif qui, après leur rupture, s’est adressé aux tribunaux pour l’empêcher d’interrompre sa grossesse, alors que l’acte avait été décriminalisé l’année précédente.

Les scénaristes s’étonnent que l’affaire, qui avait pourtant fait couler beaucoup, beaucoup d’encre, n’ait jamais été portée à l’écran. « Surtout que c’est une méchante bonne histoire », déclare Daniel Thibault.

« Parce qu’il y a un time bomb [bombe à retardement], ajoute Isabelle Pelletier. Ça fait en sorte que c’est haletant. C’est un marathon, puis un sprint de dernière minute. Parce que l’injonction provisoire que Jean-Guy obtient pour empêcher Chantale d’avorter n’empêche pas son bébé de grandir. Et plus les semaines avancent, plus c’est difficile. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Les auteurs Daniel Thibault et Isabelle Pelletier

Un projet de cœur

En 1989, fraîchement sorti de l’École nationale de l’humour, Daniel Thibault collaborait au spectacle de Daniel Lemire. De son côté, Isabelle Pelletier travaillait comme hôtesse à TQS. Deux ans plus tard, leurs routes se croiseraient, tant professionnellement que personnellement.

Isabelle Pelletier parle avec passion de Désobéir, qu’elle décrit comme « un projet de cœur ». « On est parents de quatre enfants, souligne l’auteure avec émotion. La famille, c’est une valeur cardinale pour nous. J’avais le même âge qu’elle [Chantale Daigle] quand je suis tombée enceinte de Gabriel, mon premier. On était très jeunes. Je n’étais pas sûre d’être capable… J’ai appelé pour prendre un rendez-vous, parce que j’avais le choix. En fin de compte, j’ai choisi autre chose que Chantale, mais l’important, c’est que j’avais le choix. D’entendre cette histoire, d’être témoin du renversement de Roe c. Wade aux États-Unis l’été dernier, d’observer la montée du masculinisme… En tant que femme, tu fais : “Woa. Ce n’est jamais fini. Ce n’est jamais fini.” Qu’est-ce que moi, je peux faire, à mon échelle ? Je peux juste raconter cette histoire, qui est une très bonne histoire. Une histoire haletante. »

Désobéir : le choix de Chantale Daigle a beau avoir été une « très belle expérience d’écriture » d’une durée de trois ans, le travail n’a pas toujours été facile.

Isabelle Pelletier se souvient notamment d’un blitz d’écriture de 17 heures particulièrement ardu, au cours duquel elle s’était sentie bloquée. Épuisée, elle avait cherché du courage auprès d’une image de Chantale Daigle qu’elle conservait près d’elle.

YAN TURCOTTE, PHOTO FOURNIE PAR CRAVE

Image tirée de Désobéir : le choix de Chantale Daigle

Je regardais la photo, je braillais et j’étais comme : “C’est pour toi que je fais ça !” C’était quelque chose.

Isabelle Pelletier

Isabelle Pelletier admet avoir pleuré à quelques reprises durant l’aventure, notamment d’entrée de jeu, lorsque les producteurs Sophie Lorain et Alexis Durand-Brault leur ont exposé leur projet, qui émanait de l’auteure et réalisatrice Gaëlle D’Ynglemare.

« Avec notre horaire, on n’était pas certains de pouvoir faire le travail, mais on s’est dit qu’il fallait le faire. »

Après cinq saisons de Ruptures, les prolifiques auteurs souhaitaient s’éloigner des « shows d’avocats », mais puisqu’ils avaient développé une « certaine expertise » en matière de sagas judiciaires, refuser l’offre leur paraissait impensable.

« On s’est senti une responsabilité, ajoute Daniel Thibault. Parce que c’est une histoire qui méritait d’être racontée. »

Le fil rouge

De leur propre aveu, Isabelle Pelletier et Daniel Thibault étaient empreints d’une belle naïveté au départ du projet.

« On pensait qu’étant donné que l’histoire existait, il fallait juste ramasser et dramatiser. Mais trouver l’angle, la façon de raconter les évènements, la ligne directrice, le bon fil rouge, ç’a été compliqué », explique Isabelle Pelletier.

« On l’a cherché, parce que c’était important pour nous, pour que l’on comprenne ce qu’elle a vécu, qu’on montre sa relation de couple avec Jean-Guy, indique Daniel Thibault. Notre premier réflexe, c’était de relater les évènements en ordre chronologique : raconter l’histoire de violence conjugale, pour ensuite en arriver au contentieux par rapport au bébé, mais en suivant ce plan, on tardait trop à plonger au cœur du sujet. C’était une histoire de violence conjugale qui devenait une saga judiciaire. Il a fallu qu’on inverse ça. »

« C’est vraiment venu quand on s’est dit : “Pourquoi avoir attendu si longtemps ?” C’est la phrase clé. Ça a été notre fil rouge », signale Isabelle Pelletier.

Le tandem n’a jamais pu s’entretenir avec Chantale Daigle durant l’écriture de Désobéir. La principale concernée aurait toutefois donné son aval au projet, nous informe-t-on. « On nous a dit qu’elle avait aimé Ruptures, révèle Daniel Thibault. Elle nous faisait confiance. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Le réalisateur Alexis Durand-Brault en compagnie des acteurs Éléonore Loiselle (Chantale Daigle) et Antoine Pilon (Jean-Guy Tremblay)

Une héroïne réfractaire

Durant notre visite du plateau de tournage de Désobéir, l’automne dernier, le réalisateur Alexis Durand-Brault avait qualifié Chantale Daigle de « super-héroïne ». Isabelle Pelletier préfère l’expression « héroïne réfractaire ».

« C’est une fille avec un caractère bien trempé. Elle est super orgueilleuse et imparfaite, et c’est ce que j’aime d’elle. Elle a envoyé chier tout le monde quand on a voulu lui dire quoi faire. Mais elle n’est pas partie en guerrière. Ce n’est pas elle. Ce n’est pas une guerrière. C’est une fille ben ordinaire qui s’est ramassée dans une situation extraordinaire. »

Pour Isabelle Pelletier, Désobéir n’est pas l’histoire d’une femme seule envers et contre tous ; il s’agit d’une minisérie qui salue la collectivité, la force du groupe.

« Sans sa famille, Chantale Daigle n’aurait pas été capable, comme bien d’autres, de laisser Jean-Guy, de sortir de l’abus. Son groupe de soutien a fait en sorte qu’elle a pu crisser son camp. Et ensuite, sa famille l’a appuyée. Elle a toujours senti qu’elle était soutenue. Ça l’a aidée à déployer ses ailes. Puis grâce aux militantes, qui ont récolté de l’argent, elle est allée se faire avorter aux États-Unis. Sinon, elle n’y arrivait pas. Je n’ai pas l’impression qu’elle aurait été capable toute seule. »

1. Même si son prénom est épelé Chantal dans les documents judiciaires, Mme Daigle l’a toujours écrit avec un « e ».

Désobéir : le choix de Chantale Daigle atterrit sur Crave mercredi, au rythme d’un épisode par semaine.