Dans Crépuscule pour un tueur, Éric Bruneau se glisse dans la peau de Donald Lavoie, célèbre tueur à gages ayant sévi au cours des années 1970 pour ensuite retourner sa veste et devenir informateur pour la police. Une belle occasion pour l’acteur de faire ce qu’il aime plus que tout : du cinéma.

Pour se préparer à incarner au grand écran un type dont il ne connaissait rien au départ, Éric Bruneau a rencontré des gens qui ont déjà croisé la route de Donald Lavoie, ou qui, grâce à leur expertise, ont pu analyser la personnalité de ce dernier en regardant en sa compagnie les archives et les documents visuels existants. La ressemblance physique entre l’acteur et celui qui, aujourd’hui, vit clandestinement sous une autre identité, est rarement passée inaperçue.

« Je me suis souvent fait dire qu’il y avait quelque chose de similaire dans les yeux, souligne Éric Bruneau au cours d’un entretien accordé à La Presse. Même ma blonde trouvait une vraie ressemblance. J’avais déjà entendu vaguement parler du clan Dubois, mais jamais de Donald Lavoie. Quand j’ai lu le scénario – d’une traite tellement je trouvais l’histoire incroyable –, j’allais constamment sur l’internet pour vérifier si ce qu’on racontait était réellement arrivé ! »

Un dilemme moral

Réalisé par Raymond St-Jean (Louise Lecavalier : Sur son cheval de feu), qui cosigne le scénario avec Martin Girard (Saint-Narcisse), Crépuscule pour un tueur est le troisième long métrage québécois, après Mafia Inc. (Daniel Grou – Podz) et Confessions (Luc Picard), à revisiter l’histoire du gangstérisme local au cours des dernières années. La sortie de ce drame, tourné il y a plus de deux ans, a en outre été retardée pour mettre un peu de distance avec celui de Luc Picard, même si les deux films n’ont rien à voir l’un avec l’autre.

Pour incarner Donald Lavoie, Éric Bruneau a cependant dû faire face au dilemme moral auquel Luc Picard a aussi été confronté dans son interprétation de Gérald Gallant.

PHOTO MICHEL BOLDUC, FOURNIE PAR FILMOPTION INTERNATIONAL

Éric Bruneau est la tête d’affiche de Crépuscule pour un tueur, de Raymond St-Jean.

« J’ai d’abord été complètement fasciné par l’histoire de ce gars-là, par l’arc dramatique qu’il suit, par le fait qu’il a pu faire tomber le clan Dubois, et que le programme de protection des témoins, qui n’existait pas à l’époque, a été inventé pour lui », explique l’acteur. « Le dilemme moral est survenu plus tard. Quand je me suis mis à approfondir mes recherches et que j’ai vu le nombre de ses victimes – on dit entre 20 et 40, mais c’est plus que ça –, j’ai frappé un mur. »

Comment faire pour donner quand même envie au spectateur de suivre l’histoire d’un tel personnage sans le glamouriser ?

Éric Bruneau

Pour Éric Bruneau, la seule issue possible était d’explorer le besoin de validation d’un homme toujours à la recherche d’une figure paternelle, qui, très jeune, a été abandonné par sa famille. L’approche très réaliste du cinéaste, dans un film où la violence est illustrée de façon très sèche, sans aucune forme de complaisance, a également été un atout.

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Dans Crépuscule pour un tueur, de Raymond St-Jean, Benoît Gouin incarne Claude Dubois, le patron de la pègre du Sud-Ouest de Montréal au cours des années 1970.

« Lavoie était un grand narcissique, qui se prenait pour le prince de Saint-Henri, ajoute celui qui a décroché son premier grand rôle au cinéma dans Les États-Unis d’Albert, d’André Forcier. Il avait trouvé un père en Claude Dubois [Benoît Gouin]. Même quand il l’a fait tomber, il était encore dans un rapport d’admiration avec lui en déclarant à quel point il le trouvait brillant et intelligent. Dans le scénario, il y a aussi l’enquêteur Roger Burns [Sylvain Marcel incarne ce personnage au nom fictif], aussi une sorte de figure paternelle. À mes yeux, c’est le seul angle avec lequel je pouvais aborder le personnage, le seul chemin que je pouvais prendre pour y arriver. »

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Sylvain Marcel incarne le sergent-détective Roger Burns dans Crépuscule pour un tueur, un film de Raymond St-Jean.

Le regard de l’autre

Éric Bruneau, dont la vocation d’acteur n’a fait aucun doute dans son esprit dès l’enfance, a actuellement le vent dans les voiles, c’est indéniable. La série Avant le crash, qu’il a aussi coscénarisée avec Kim Lévesque-Lizotte, a suscité des éloges, tout comme La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé, de Xavier Dolan, et Virage – Double faute, dont l’ultime épisode a été diffusé mardi dernier.

Quel regard jette-t-il sur cette période très effervescente de sa vie, à l’approche de son 40e anniversaire ?

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Éric Bruneau et Rose-Marie Perreault dans Crépuscule pour un tueur, un film de Raymond St-Jean

« Quarante ans ? J’aime ça. C’est bon. J’atteins maintenant l’âge où on a de l’expérience et de l’énergie, et où la vie t’est assez rentrée dedans pour savoir distinguer ce qui est important de ce qui ne l’est pas. J’ai plus de maturité, plus de métier. Un acteur veut constamment se faire dire qu’il est bon, mais on dirait que l’écriture m’a permis de me calmer par rapport à ça. Être acteur, c’est exister dans le désir de l’autre, être soumis à son regard. Tout le temps. Cette posture est quand même particulière et je n’ai pas envie qu’on décide toujours pour moi si je peux travailler ou pas. »

Cela dit, j’adore me faire confier des rôles, surtout comme celui de Crépuscule pour un tueur. J’aime embarquer dans des univers différents. Mais je sens qu’à 40 ans, c’est comme si quelque chose s’était posé davantage.

Éric Bruneau

Tout le monde peut d’évidence constater qu’Éric Bruneau est très bel homme. Il se le fait constamment rappeler, parfois de façon subtile, parfois, moins. Sur cet aspect de sa personne, le regard de l’autre est également très présent.

« À un moment donné, ça me gossait, dit celui qui tournera bientôt pour la troisième fois sous la direction d’André Forcier, dans le film Ababouiné. J’étais tanné parce que j’avais l’impression de n’être que ça aux yeux de tout le monde. J’ai fini par me raisonner en me trouvant assez bon dans quelque chose pour penser que les gens ne retiendraient pas que ça. Mais il est certain qu’il existe un double standard. On ne parle pas de la beauté des actrices de la même façon. Mais bon, si le monde me trouve beau, c’est ben correct, mais j’ai dû faire la paix avec ça en allant chercher des rôles où j’ai pu modifier mon apparence. Ça m’a libéré de quelque chose, comme l’écriture d’ailleurs. Mon métier est de disparaître derrière un personnage. Dans la vie, il y a déjà assez de lumière sur moi. »

Crépuscule pour un tueur prendra l’affiche le 10 mars.