À l’occasion de la sortie prochaine de Frontières, long métrage de Guy Édoin dans lequel elle tient le rôle principal, nous faisons le point avec Pascale Bussières. Souvent vue comme l’une des égéries du cinéma québécois, celle qui compte plus de 50 longs métrages dans sa filmographie s’est pourtant souvent remise en question. Rencontre.

Elle fait partie de notre paysage culturel depuis maintenant tout près de quatre décennies.

Dans les années 1990, Pascale Bussières a même un peu tenu dans le cinéma québécois le même rôle d’égérie qu’a joué la légendaire Luce Guilbeault 20 ans plus tôt. Les cinéastes de toutes générations ont voulu la filmer, souvent plus d’une fois. Micheline Lanctôt, qui l’a révélée, au premier rang. Puis, Jacques Leduc, Patricia Rozema, Charles Binamé, Guy Maddin, Jean Beaudin, Denis Villeneuve, Léa Pool, Manon Briand, pour ne nommer qu’elles et eux. Sans oublier tous les autres ayant suivi par la suite.

Étant l’une des rares comédiennes québécoises à pouvoir se targuer d’une filmographie riche de plus de 50 longs métrages (et pas des moindres !), Pascale Bussières ne voit pourtant pas les choses tout à fait de la même façon. Si elle mesure bien la chance d’être souvent invitée par les cinéastes à rejoindre leurs univers, la trajectoire n’est peut-être pas à ses yeux aussi lisse et sereine que son impressionnant curriculum vitæ peut le laisser croire.

« Le plan B n’est jamais très loin ! révèle-t-elle, tout sourire. Mon parcours a été jalonné de moult remises en question. Tous ceux qui exercent ce métier au Québec font forcément face à des périodes plus creuses.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Pascale Bussières

Quand je travaille, je suis très heureuse. Je peux alors emprunter une direction précise et je me sens comme un voilier qui navigue contre vents et marées.

Pascale Bussières

« Les moments en jachère sont plus difficiles parce qu’ils nous forcent à beaucoup nous interroger. Cette obligation de toujours être dans le désir de l’autre devient très déstabilisante, mais je me suis quand même calmée par rapport à ça ! »

Poursuivre encore longtemps

La maturité aidant, l’actrice n’a maintenant plus de réserve à s’ouvrir complètement et à s’abandonner dans un personnage. Elle estime n’avoir rien à perdre sur ce plan, tout à gagner.

« Quand on vieillit, on nous met toujours plus ou moins en garde en nous disant que le travail se fera plus rare parce qu’on a quitté cet âge magnifique du début de la vie d’adulte, où toutes les grandes histoires se passent. Heureusement, il y a plein d’autres choses qui surviennent plus tard, qui font que la vie n’est pas plate. Et puis, il y a maintenant plus de femmes réalisatrices, scénaristes, productrices, et il y a, me semble-t-il, de plus en plus de rôles intéressants pour les actrices de plus de 50 ans. Micheline [Lanctôt] n’arrête pas de travailler. Ça donne quand même l’espoir de pouvoir poursuivre une carrière longtemps. »

Dans Frontières, le cinéaste Guy Édoin a écrit pour elle le rôle d’une femme forte, fragilisée pourtant par les souvenirs qui hantent sa maison familiale, vieille de près de 200 ans. Entourée de Christine Beaulieu, de Marilyn Castonguay et de Micheline Lanctôt, Pascale Bussières renoue avec le réalisateur de Marécages et de Ville-Marie en se glissant dans la peau d’un personnage pour le moins intense.

« C’est un grand plaisir de savoir qu’on peut habiter l’esprit d’un cinéaste qui est en train d’écrire un film, d’autant que ce scénario m’a tout de suite plu, indique celle qui entretient toujours le rêve de réaliser un jour son propre long métrage. Dans ce personnage de Diane, je vois une variation de celui que j’ai joué dans les deux autres films tournés avec Guy. »

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Micheline Lanctôt, Pascale Bussières, Christine Beaulieu et Marilyn Castonguay dans Frontières, un film écrit et réalisé par Guy Édoin.

Comme cette femme vit sur la terre, il y a dans cette histoire un rapport très direct à la vie, à la mort, à la chair, à l’animal, au corps. Se retrouver en plus dans un film de genre – sorte de thriller psychologique – amène d’autres paramètres. C’était vraiment le fun d’aller là avec lui.

Pascale Bussières

Une femme de terre

De Guy Édoin, Pascale Bussières dit qu’il écrit extraordinairement pour les femmes. Elle aime en outre chez lui cette capacité à filmer le réel en y ajoutant une espèce de couche tragique qui le transcende. Elle aime aussi sa manière singulière d’élever le propos d’une façon vraiment cinématographique.

« Et puis, il y a ces thèmes qu’il creuse, avec, toujours, ce rapport intéressant au territoire, comme un terreau très fertile, ajoute la comédienne. Guy pose là-dessus un regard oblique fascinant. Étant moi-même une fille de campagne, j’aime beaucoup l’aspect terrien du personnage, avec ce lien presque brut aux éléments. Il y aura sans doute un jour une étude sur le rapport à l’organique dans l’œuvre de Guy. Certaines scènes peuvent paraître plus choquantes – il me fallait quand même les faire –, mais elles traduisent le quotidien des gens qui vivent dans une ferme. Tout ça est hautement symbolique à mes yeux. »

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Christine Beaulieu, Micheline Lanctôt, Béatrice Picard, Pascale Bussières, Mégane Proulx et Marilyn Castonguay incarnent les femmes de quatre générations d’une même famille dans Frontières, un film de Guy Édoin.

Si elle aime le cinéma de Guy Édoin et se fait une joie d’en être, Pascale Bussières avoue quand même avoir trouvé éprouvante la toute première projection – en privé bien sûr – de Frontières.

« Cet exercice de se voir pour la première fois dans quelque chose est toujours dur, soutient-elle. Mais là, plus particulièrement encore. Je vieillis et il me faut accepter que ça se voie encore 10 fois plus sur un grand écran. Et puis, ce film touche à des zones très douloureuses. »

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Pascale Bussières et Mégane Proulx jouent mère et fille dans Frontières, un film de Guy Édoin.

On n’aime pas se voir dans ces états-là, d’autant qu’on prend alors conscience que les autres vont maintenant nous regarder. C’est comme si, à ce moment-là, on mesurait l’ampleur de l’abandon.

Pascale Bussières

« J’étais un peu déprimée, j’avoue, quand je suis rentrée chez moi après la projection. Dans ces instants-là revient toujours la même question : j’arrête ou je continue ? Heureusement, la phase de l’acceptation arrive ensuite ! »

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Pascale Bussières

Un regard plus bienveillant

Devenue une vedette immensément populaire il y a 30 ans grâce à la série Blanche, suite des Filles de Caleb réalisée par Charles Binamé, Pascale Bussières pose aujourd’hui un regard plus bienveillant sur une période où elle était un peu déchirée intérieurement.

« À cette époque, je méprisais le star système et j’étais un peu arrogante. Je tombe parfois sur de vieilles entrevues que j’ai accordées et je trouve ça épouvantable. Dans un domaine où tout était beaucoup plus divisé qu’aujourd’hui, j’avais en moi cette conviction d’être issue du cinéma indépendant, plus underground, et je pensais toujours y rester. Je me suis tout à coup retrouvée dans le mainstream et tout ce qui vient avec. Cela dit, Blanche m’a donné énormément, notamment une famille de création extraordinaire. »

Trois décennies plus tard, que doit maintenant avoir un projet artistique pour attirer les faveurs de Pascale Bussières ?

« Qu’il ait quelque chose à défendre, répond-elle tout de go. Qu’il ait une pertinence, une sincérité, et qu’il comporte un certain défi pour une actrice. À partir du moment où l’on me propose quelque chose d’intelligent, je suis ouverte à tous les genres. Il n’y a aucune zone de rejet absolu pour moi. »

Frontières prendra l’affiche le 3 mars. Le film est présenté en présence de son équipe le 27 février à 19h au cinéma Impérial dans le cadre des Rendez-vous Québec cinéma.

Consultez la page du film sur le site des RVQC