Depuis le jour où elle fut révélée à l’âge de 13 ans dans Sonatine, Pascale Bussières a tourné plus d’une cinquantaine de longs métrages. Nous lui avons demandé de commenter 10 de ses rôles les plus marquants au cinéma.

Sonatine (1984)

  • Scénario et réalisation : Micheline Lanctôt

Se sentant abandonnées par le monde des adultes, deux amies adolescentes échafaudent un plan pour en finir avec la vie. Lion d’argent pour le meilleur premier film à la Mostra de Venise.

« Sonatine équivaut pour moi à une naissance. J’avais 13 ans. J’ai alors découvert un domaine qui allait déterminer ma vie, un peu comme le fondement de tout ce qui allait suivre. Ce fut ma première rencontre avec Micheline Lanctôt, que j’ai retrouvée à plusieurs étapes dans mon parcours, notamment quand j’ai fait des études en cinéma à l’Université Concordia, où elle fut ma prof. J’aime beaucoup cette femme très terre à terre – nous avons ce point en commun – et voilà que nous nous donnons la réplique dans Frontières, près de 40 ans après Sonatine, où tout a commencé pour moi. »

La vie fantôme (1992)

PHOTO ANDRÉ CORNELLIER, COLLECTION CINÉMATHÈQUE QUÉBÉCOISE

Pascale Bussières et Ron Lea dans La vie fantôme, un film de Jacques Leduc

  • Scénario : Jacques Leduc et Yvon Rivard
  • Réalisation : Jacques Leduc

Un professeur de littérature entretient clandestinement une relation amoureuse avec une jeune bibliothécaire. La vie fantôme a valu à Pascale Bussières le prix d’interprétation féminine au Festival des films du monde de Montréal.

« J’étais alors dans la jeune vingtaine et La vie fantôme fut probablement mon premier “rôle de femme”, si j’ose dire. On était beaucoup dans la sensualité, le pouvoir de la séduction. J’avoue en avoir été déstabilisée. Je dirais même avoir ressenti un malaise toute ma vie face à ce genre de représentation. Bien que j’aie tourné beaucoup de scènes d’amour, je n’ai jamais mis cet aspect-là de l’avant. Il y a une espèce de dichotomie en moi. »

Eldorado (1995)

PHOTO FOURNIE PAR ALLIANCE VIVAFILM

Pascale Bussières dans Eldorado, un film de Charles Binamé

  • Scénario : Charles Binamé, Robert Brouillette, Pascale Bussières
  • Réalisation : Charles Binamé

Six jeunes gens paumés et sans but se libèrent de leurs frustrations dans les rues grouillantes de Montréal.

« Quel film tripant, qui représente un moment de très grande liberté. Nous avons tout improvisé du début à la fin. Après Blanche [la suite des Filles de Caleb, réalisée par Charles Binamé, qui a connu un immense succès à la télévision], Charles et moi avions envie de sortir d’un mode de production plus figé pour nous lancer dans quelque chose de très libre, très contemporain. Notre modèle a été Short Cuts, de Robert Altman, un film où se rencontrent les destins de plusieurs personnages. Nous avions établi les bases des personnages, Charles nous exposait les circonstances dans lesquelles ils étaient plongés, et on blowait. Eldorado est aussi très ancré dans le Montréal des années 1990, alors en pleine effervescence, comme un personnage en soi. C’est terrible qu’on ne puisse le voir sur aucune plateforme. »

Un 32 août sur Terre (1998)

  • Scénario et réalisation : Denis Villeneuve

Une femme miraculeusement sauvée d’un accident demande à son meilleur ami de lui faire un enfant qu’elle élèvera seule. Il accepte à la condition que la conception soit faite dans le désert.

« Dans mon panthéon personnel, Un 32 août sur Terre est l’un des films que je préfère. J’aime son caractère très poétique, très surréaliste. Ce fut aussi une expérience de tournage complètement délirante. Denis [Villeneuve] est arrivé avec une proposition visuelle très forte, à une époque encore influencée par le cinéma-vérité. J’ai encore sur mon frigo une photo où l’on voit André Turpin [le directeur photo] et Denis discuter d’un plan en plein désert. Quel souvenir. J’ai été très émue quand je suis allée voir Dune avec mes enfants. J’en pleurais. Que Denis ait atteint de tels sommets, c’est quand même hallucinant. D’autant plus que l’industrie s’adapte à lui plutôt que le contraire. C’est vraiment impressionnant. »

Emporte-moi (1999)

  • Scénario : Nancy Huston, Monique H. Messier, Léa Pool
  • Réalisation : Léa Pool

Hanna a 13 ans et 1963 est l’année où tout se décide. Elle découvre la vie et tente de se créer une voie bien à elle. Le rôle de mère qu’y tient Pascale Bussières a valu à cette dernière le Jutra de la meilleure actrice dans un rôle de soutien.

« J’y joue mon premier rôle de mère. Il est certain que ce personnage a eu sa fille très jeune, mais il reste que quand on se fait offrir pour la première fois de jouer la mère d’une jeune fille de 13 ans, ça donne quand même un choc ! Avec Karine [Vanasse], qui avait l’âge que j’avais à l’époque de Sonatine, on a vécu de très beaux moments ensemble. J’avais même un peu l’impression de lui passer le flambeau. Je retiens aussi la grande sensibilité de Léa [Pool], que j’ai retrouvée ensuite plus tard grâce au Papillon bleu, dans un tout autre genre. Cette expérience fut différente, dans la mesure où William Hurt était un être très complexe, aux prises avec ses propres difficultés, bien que brillant. »

La répétition (2001)

  • Scénario : Catherine Corsini, Marc Syrigas, Pascale Breton
  • Réalisation : Catherine Corsini

Deux amies d’enfance d’une trentaine d’années, qui rêvaient de devenir actrices, se retrouvent après plus de 10 ans de séparation. Sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes.

« Quand je pense à La répétition, au-delà des difficultés rencontrées sur ce tournage, je retiens quand même un grand moment de ma carrière. Ce film m’a donné l’occasion d’une première présence au Festival de Cannes, avec la montée des marches et tout ça. Or, j’ai accouché de mon fils Antoine 14 jours plus tôt et il a fait le voyage ! Donc, ce souvenir est très lié à ma nouvelle maternité. Ça reste un moment de grand bonheur et de grande euphorie. J’ai revu Catherine Corsini des années plus tard et nous nous sommes bien entendues, mais il est clair que ce tournage a mis à l’épreuve ma propre relation avec ce métier. »

Ma vie en cinémascope (2004)

  • Scénario et réalisation : Denise Filiatrault

La vie d’Alys Robi, chanteuse populaire des années 1940 qui, après avoir atteint les sommets de la gloire, est internée contre son gré dans une institution psychiatrique. Grâce à sa performance, Pascale Bussières a obtenu le prix de la meilleure actrice aux Jutra et aux Genie Awards.

« Ça aussi, c’était all in ! Je venais d’accoucher de Raoul, mon deuxième enfant. Ce fut une grande décision d’accepter un tournage aussi intense quand on a un enfant de 9 mois. En même temps, la maternité donne de l’échine. Je me sentais toute-puissante, malgré la fatigue. J’ai aimé cette aventure, de pouvoir chanter et de jouer un personnage très loin de ma nature, beaucoup plus réservée. Avec Denise [Filiatrault], ça s’est très bien passé. Je ne me suis pas effondrée devant elle, au contraire. Je me suis fortifiée en la côtoyant. C’est une battante qui te tient toujours sur un fil. J’aime ça. »

La capture (2007)

  • Scénario et réalisation : Carole Laure

Une jeune femme au lourd passé, chargé de violence familiale, renoue avec sa mère et son frère après deux ans d’absence.

« Une cinéaste qui est aussi actrice sait comment obtenir ce qu’elle souhaite en y allant directement. Elle a, peut-être, moins de pudeur à demander les choses parce qu’elle sait comment ça fonctionne à l’intérieur et qu’elle peut reconnaître tout de suite tes possibilités. La capture me fait penser à Laurent Lucas, un acteur que j’aime beaucoup et avec qui j’ai eu l’occasion de jouer trois fois. Ce film marque aussi une rencontre avec la magnifique Catherine De Léan. Une amitié est née avec Carole [Laure], avec qui j’ai tourné ensuite Love Project. Comme celle de Micheline [Lanctôt] et de Denise [Filiatrault], l’histoire de vie de Carole est formidable et hors normes. Ces trois femmes défricheuses ont traversé des époques délirantes à titre de créatrices. Elles sont des modèles très inspirants. »

Marécages (2011)

  • Scénario et réalisation : Guy Édoin

Sur une ferme des Cantons-de-l’Est, alors qu’une sécheresse sévit et que les terres deviennent arides, un drame vient bouleverser la vie d’une famille.

« Je vois Marécages comme une tragédie grecque. Marécages marque évidemment une rencontre artistique très forte avec Guy [Édoin]. J’en garde notamment le souvenir d’un très grand moment à la Mostra de Venise, où le public a réservé au film une ovation de huit minutes. C’était vraiment très émouvant, d’autant que c’était plutôt inattendu. On avait l’impression que le public européen avait reconnu quelque chose dans la facture même de ce film. Le tournage fut un grand bonheur, d’autant qu’il a annoncé le début d’une collaboration qui, je l’espère, pourra durer encore longtemps. »

Bootlegger (2021)

  • Scénario : Caroline Monnet, Daniel Watchorn
  • Réalisation : Caroline Monnet

La question de la légalisation de la vente d’alcool dans une réserve divise la population locale. Cette performance a valu à Pascale Bussières d’être citée au Gala Québec Cinéma pour l’Iris de la meilleure actrice.

« Le tournage a été plutôt difficile parce que la structure de production était un peu compliquée. On a dû tourner l’hiver, dans une réserve, avec peu de moyens et peu d’organisation. Devant jouer la méchante de l’histoire, je devais aussi assumer le fait d’être un peu le diable dans la bergerie. C’était comme si, intérieurement, je luttais pour que les gens perçoivent que tout ça relève du jeu, parce qu’on vit maintenant dans un monde très poreux où la fiction et la réalité s’entremêlent. Cela dit, j’admire le travail de Caroline Monnet, une artiste remarquable, une guerrière. Parfois, des tournages plus compliqués aboutissent sur des choses formidables. J’ai été très heureuse de participer à son film. »