Avec Cette maison, Miryam Charles signe un essai documentaire habité par la mort de sa cousine. Entrevue avec la réalisatrice qui donnera une classe de maître dans le cadre des Rendez-vous Québec Cinéma.

Si Miryam Charles voit son premier long métrage à mi-chemin entre la fiction et le documentaire prendre l’affiche dans quelques salles de cinéma ce vendredi, après avoir été présenté en première à la Berlinale, ce n’est pas sans avoir rencontré de la résistance. De ses proches, mais aussi d’elle-même.

Comme bien des enfants d’immigrants, Miryam Charles a grandi avec des parents qui rêvaient de stabilité à tous les égards pour leur progéniture.

« Quand j’ai dit à mes parents que je voulais étudier au cégep en cinéma, ils n’étaient pas super chauds à l’idée, raconte la cinéaste. Ma mère a fait un commentaire qui était très juste à l’époque : “Miryam, est-ce que tu en vois beaucoup, des femmes noires qui gagnent leur vie en cinéma ?” »

Sa fille aura finalement étudié le septième art jusqu’à l’Université Concordia en s’intéressant particulièrement à la direction photo. Mais une fois diplômée, Miryam Charles ressentait de l’insécurité quand venait le temps de prendre les devants. « J’attendais trop que les projets me choisissent », confesse-t-elle.

La Lavalloise a néanmoins réalisé de nombreux courts métrages remarqués dans le circuit des festivals. Elle se plaisait dans ce format (tout en nourrissant intérieurement peu de foi envers la possibilité que les institutions puissent lui financer un projet de long métrage).

Il a fallu que son ami producteur Félix Dufour-Laperrière lui dise, à la sortie d’un film : « Il me semble que c’est le temps pour toi de passer au long. »

« Ce n’est pas pour moi », lui a-t-elle répondu.

Félix Dufour-Laperrière s’est permis d’insister, puis Miryam Charles s’est interrogée sur ce qui la retenait de foncer, un sentiment qui l’habite souvent.

Je me suis demandé ce qui m’avait fait le plus peur dans ma vie, et c’était le décès de ma cousine.

Miryam Charles

Avec la remémoration de cette grande épreuve familiale, elle venait de trouver LE sujet de son premier long métrage, Cette maison, mais le film est loin de la forme documentaire plus classique qu’il devait prendre à l’origine.

Miryam Charles pensait recueillir des témoignages de sa famille à propos du trauma de l’assassinat de sa cousine en 2008 à Bridgeport, aux États-Unis. Le rapport d’autopsie a révélé que l’adolescente de 14 ans n’est pas morte d’un suicide, mais dans des circonstances atroces.

Approche expérimentale

Le tournage était prévu au début de la pandémie, mais les membres de sa famille étaient réticents à laisser entrer une équipe de tournage dans leurs maisons. C’est là que la réalisatrice a eu l’idée d’un film « non conventionnel » et même expérimental.

On a décidé de tourner des scènes en studio et ça va encore mieux avec le film qui est sur la mémoire fracturée par des traumatismes et des souvenirs.

Miryam Charles

C’est ainsi que des scènes plutôt théâtrales viennent ponctuer Cette maison, tout comme des images floues et poétiques d’Haïti (tournées dans les faits à Sainte-Lucie), qui permettent à Miryam Charles d’explorer la relation entre la sécurité du lieu où l’on vit et le danger qui peut l’entourer.

« D’un membre de ma famille à l’autre, il y a une confusion dans leurs souvenirs par rapport à ce qui est arrivé à ma cousine, et cela se traduit dans la structure et la forme du film », note la cinéaste.

La scène où un médecin annonce les circonstances de la mort de l’adolescente est particulièrement puissante. Mais la plus imprévue est sans doute celle du référendum de 1995 qui relate comment la famille de Miryam Charles était soulagée que le Non l’emporte.

Son producteur, bien qu’il soit un fervent indépendantiste, se réjouissait de voir le point de vue de bien des familles qui ont quitté un pays instable à la recherche de… stabilité.

Sa famille d’acteurs

Comme elle parlait de sa famille, la réalisatrice voulait travailler avec des gens de qui est elle proche. Petite, c’est à l’église qu’elle est devenue amie avec celle qui incarne sa cousine, Schelby Jean-Baptiste (L’échappée, La faille).

Alors que les acteurs Ève Duranceau et Matthew Rankin sont des collaborateurs de longue date de Miryam Charles, c’est après avoir vu Florence Blain Mbaye au théâtre que la réalisatrice lui a offert le rôle de sa tante.

Cette maison lui a prouvé qu’elle peut diriger une équipe, et cela lui a appris que la cicatrice de la mort de sa cousine ne sera jamais complètement guérie. « Il n’y a pas une finalité au deuil. Je vis avec », conclut celle qui se dit tout simplement fière d’être allée au bout de son projet.

Cette maison prend l’affiche vendredi au cinéma Beaubien, au Cinéma Public, à la Cinémathèque québécoise et au Cinéma Moderne.

La classe de maître de Miryam Charles aura lieu le 28 février à 17 h 30 à la salle Hydro-Québec de la Cinémathèque québécoise lors des Rendez-vous Québec Cinéma.

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