Le cinéaste grec Yorgos Lanthimos signe depuis une quinzaine d’années des films uniques, à l’humour étrange et particulier. Son nouveau long métrage, Poor Things (Pauvres créatures), ne fait pas exception. C’est peut-être son œuvre la plus tordue, irrévérencieuse et déstabilisante depuis Dogtooth (Canine), le long métrage qui l’a révélé à l’échelle internationale en 2009.

Lauréat du Lion d’or de la plus récente Mostra de Venise, Poor Things met en scène Emma Stone, remarquable dans le rôle de Bella, une Anglaise d’une époque victorienne surréaliste, littéralement sauvée des eaux par un savant fou (Willem Dafoe) qui en a fait son cobaye grâce à une greffe de cerveau. Elle a, au début de cette expérience scientifique improbable, l’âge mental d’une jeune enfant.

Bella affectionne ce DFrankenstein paternaliste qu’elle surnomme God (son nom est Godwin Baxter). Son pygmalion tente de la « préserver du monde extérieur », alors qu’elle découvre progressivement son corps, les plaisirs de la chair et ce que la nature humaine a de plus et de moins reluisant, grâce à une odyssée en mer en compagnie d’un avocat hédoniste (Mark Ruffalo). Au récit d’apprentissage se greffe le film d’aventure.

Bella est une Candide au stade de l’enfance, en émerveillement perpétuel, notamment devant les sensations de son corps d’adulte. Elle répond à ses besoins et à ses désirs naissants sans pudeur, sans préjugé ni considération pour l’étiquette, les convenances et les conventions sociales. Qu’importe ce que pensent son amant jaloux ou son nouveau fiancé, un étudiant du DBaxter (Ramy Youssef), de sa découverte débridée de la sexualité et des conséquences de ses extrêmes franchise et spontanéité…

PHOTO ATSUSHI NISHIJIMA, FOURNIE PAR SEARCHLIGHT PICTURES

Emma Stone dans une scène de Poor Things

Le vocabulaire limité de Bella et ses manières enfantines donnent lieu à des gags visuels efficaces et des traits d’esprit hilarants. Sans compter les animaux mutants, croisements d’espèces par le DBaxter – mi-canard, mi-chèvre, par exemple –, qui l’entourent dans les couloirs du manoir.

Distillant son humour noir et absurde habituel, le cinéaste de The Favourite propose à travers le personnage déluré et désinhibé de Bella une fable subversive sur l’hypocrisie, des adultes et des hommes en particulier, pouvant être interprétée comme un pamphlet féministe contre le patriarcat et la misogynie.

Comme dans la plupart de ses films, en particulier l’hilarant The Lobster, Lanthimos s’égare un peu en cours de route dans des intrigues secondaires. Sans trop en révéler, Bella passe beaucoup trop de temps en petite tenue à Paris, pendant la dernière moitié du film où elle s’émancipe de plus en plus.

Il reste que l’adaptation du roman homonyme du regretté écrivain écossais Alasdair Gray, publié en 1992, est jouissive, dans tous les sens du terme. La mise en scène de Lanthimos, brillamment inventive et éclatée, passe du grand angle déformé à l’hommage à l’expressionnisme allemand, et des couleurs saturées au noir et blanc. Poor Things est à la fois excessif et transgressif, excentrique et bizarre, accessible et divertissant. Du Lanthimos à son plus abouti.

En salle

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Poor Things (V. F. : Pauvres créatures)

Comédie dramatique

Poor Things (V. F. : Pauvres créatures)

Yorgos Lanthimos

Emma Stone, Willem Dafoe, Ramy Youssef, Mark Ruffalo

2 h 21

8,5/10