(Cannes) On se demande bien ce qu’est Elvis, le nouveau film de Baz Luhrmann. Est-ce une comédie musicale, un drame biographique, une adaptation de bande dessinée, un film de superhéros, un pastiche ? Le cinéaste australien lui-même ne semble pas trop le savoir, tellement il change souvent de registre dans ce film de 2 h 39 min qui n’arrive pas à émouvoir à force de se noyer dans des artifices de mise en scène.

La première mondiale d’Elvis, présentée hors compétition au Grand Théâtre Lumière mercredi soir, était sans doute l’évènement le plus attendu de ce 75e Festival de Cannes. Le film a bien sûr reçu un tonnerre d’applaudissements au terme de la projection. Le contraire eût été quasi impensable en présence de Luhrmann ainsi que des comédiens Austin Butler, Tom Hanks et Priscilla Presley, la veuve du King, qui ne tarit pas d’éloges à propos du film sur les réseaux sociaux depuis une semaine.

Baz Luhrmann est un habitué du Festival de Cannes. Son premier long métrage, Strictly Ballroom, qui était projeté cette semaine dans le cadre de la série Cinéma à la plage, a été présenté dans la section Un certain regard en 1992. Moulin Rouge ! a ouvert le Festival ainsi que la compétition en 2001, et The Great Gatsby était aussi le film d’ouverture en 2013.

Luhrmann dit avoir choisi Austin Butler, 30 ans, pour incarner Elvis « parce que c’est un acteur qui peut non seulement reproduire naturellement la gestuelle et les qualités vocales distinctes de cet artiste unique, mais aussi sa vulnérabilité ».

La transformation de Butler, que l’on vu notamment dans Once Upon A Time… in Hollywood, de Quentin Tarantino, est étonnante. Il prête sa propre voix aux chansons de Presley, qui ont été réinterprétées et parfois réarrangées au goût du jour… mais pas toujours du meilleur goût.

PHOTO JOEL C RYAN, JOEL C RYAN/INVISION/AP

Tom Hanks, Baz Luhrmann et Austin Butler à la première du film Elvis présenté mercredi soir à Cannes.

Le problème du film du cinéaste de Moulin Rouge !, c’est qu’on ne croit à aucun de ses personnages. Ils sont tellement caricaturaux qu’ils ont la profondeur – et le magnétisme – d’une affiche de film en carton. « Je suis un superhéros », dit Elvis, et on a bien l’impression que Lurhmann en a fait, à sa manière habituelle, un personnage de cartoon.

Tom Hanks, qui incarne l’imprésario d’Elvis, l’énigmatique et machiavélique colonel Tom Parker, est maquillé de manière si grotesque qu’il m’a fait penser au personnage de Fat Bastard incarné par Mike Myers dans Austin Powers. Surtout qu’il a un grain d’accent pseudo-néerlandais dans la voix, pour rappeler les obscures origines de l’imprésario.

PHOTO FOURNIE PAR WARNER BROS. PICTURES

Austin Butler incarne Elvis Presley, et Tom Hanks interprète le colonel Tom Parker dans Elvis, un film de Baz Luhrmann.

Ce biopic chronologique et hyperactif sur la vie et l’œuvre d’Elvis Presley s’intéresse en particulier à la relation de dépendance entre le légendaire chanteur et ce fameux colonel Parker, qui fut son imprésario pendant 21 ans. « Il le traitait comme un singe dans une cage », dit Jerry Lee Lewis dans le documentaire que lui consacre Ethan Coen, présenté à Cannes plus tôt cette semaine. « Il m’a enfermé dans cette cage dorée », dit Elvis dans le film de Baz Luhrmann.

Le colonel Parker dirigeait un spectacle de cirque lorsqu’il a entendu « ce jeune Blanc qui chantait comme un Noir » à la radio. Il a tout de suite compris qu’il tenait entre ses mains un diamant brut. L’histoire d’Elvis est d’ailleurs racontée du point de vue du colonel, qui s’octroyait, semble-t-il, 50 % des recettes de son protégé.

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Tom Hanks, Austin Butler, Baz Luhrmann, Priscilla Presley, Alton Mason et Natasha Bassett à Cannes

Les deux hommes, laisse entendre Luhrmann, étaient parfois à couteaux tirés. Elvis était peut-être moins sous la coupe du colonel qu’on peut le croire, mais jamais assez indépendant pour s’en débarrasser. Parker trouvait toujours une nouvelle combine (la résidence à Las Vegas, par exemple) pour convaincre Presley de lui rester fidèle. Le scénario, malheureusement, ne permet pas de bien comprendre les fondements et les subtilités de leur dynamique.

Cette hagiographie du Roi du rock and roll aborde aussi très peu les parts d’ombre de l’artiste, sinon pour nous faire comprendre qu’à force d’être assigné à résidence à Las Vegas par le colonel, Elvis, surmené, a fini par sombrer dans la dépendance aux barbituriques.

Ce n’est pas un détail dans son histoire, mais ça arrive comme un cheveu sur la soupe, et soudainement Elvis Presley, bouffi, meurt en 1977, à l’âge de 42 ans.

Il n’est pas mort d’une crise cardiaque ni d’une surdose de pilules, soutient du reste le colonel Parker à la fin du film. Il est mort d’avoir aimé son public plus que sa propre vie.

Baz Luhrmann tente de tracer un parallèle entre l’existence de ce personnage plus grand que nature et l’ébullition de l’époque aux États-Unis, avec la lutte pour les droits civiques et les assassinats de Martin Luther King et des frères Kennedy. C’est plaqué – le film a surtout été tourné en studio en Australie ; ça se sent –, et on ne comprend pas où le cinéaste veut en venir. Rappeler les liens d’Elvis avec la communauté noire ? Donner un sens social ou politique à sa vie ?

Les plus grands défauts de son film se trouvent cependant ailleurs. Dans le maniérisme de sa réalisation qui tournoie sans cesse, dans son montage effréné, à provoquer une crise épileptique, dans l’abus de split screen et l’accent sur les violons à l’eau de rose. Tout est en place pour susciter l’émotion. Elle n’apparaît jamais.

Elvis doit prendre l’affiche le 24 juin en Amérique du Nord.