Rarement a-t-on l’occasion de voir un film aussi délirant, aussi fou, aussi éclaté. Des gags outranciers très assumés côtoient des scènes d’action parfaitement réglées, des références cinématographiques sont magnifiquement intégrées au récit, et le montage, étourdissant, est mis au service d’une histoire complètement insensée qui, pourtant, finit par avoir un sens.

Everything Everywhere All at Once (Tout, partout, tout à la fois en version française) fait partie de ces expériences jubilatoires qui s’apprécient plus particulièrement sur grand écran, de préférence au cours d’une séance où l’on compte peu de sièges vides.

Fort de leur succès d’estime obtenu il y a cinq ans grâce à Swiss Army Man, un premier long métrage dans lequel leur imagination débordante était déjà mise au service d’une approche pour le moins surprenante, Dan Kwan et Daniel Scheinert, surnommés les Daniel, en rajoutent. Ils nous entraînent cette fois dans une histoire où chacun des personnages a plusieurs alter ego dans le multivers. Mais n’attendez pas ici un monde à la Marvel. Les Daniel préfèrent de loin utiliser le concept pour simplement laisser libre cours à leur humour qui, s’il n’est pas toujours du meilleur goût, reste toujours étonnant. Il suffit de voir la forme d’un trophée ornant le bureau de l’agence du revenu pour vite comprendre que l’objet en question aura plus tard une fonction beaucoup plus inusitée dans l’un des univers parallèles où se retrouveront les protagonistes.

PHOTO FOURNIE PAR ENTRACT FILMS

Jamie Lee Curtis et Michelle Yeoh dans Everything Everywhere All at Once, un film de Daniel Scheinert et Dan Kwan

À la base, le récit est pourtant tout simple. Evelyn Wang (Michelle Yeoh), immigrée chinoise installée aux États-Unis depuis longtemps, mène une vie peu satisfaisante en dirigeant une buanderie dans un quartier de Los Angeles. Son mari (Ke Huy Quan) s’apprête à demander le divorce, sa relation avec sa fille Joy (Stephanie Hsu) est conflictuelle, et celle avec son vieux père (James Hong), qui n’a jamais approuvé les choix de vie de sa fille, l’est tout autant. Tout bascule le jour où, dans l’ascenseur la menant au bureau de la redoutable Deirdre Beaubeirdra (Jamie Lee Curtis), une perceptrice d’impôt qui demande des comptes, le mari d’Evelyn incite sa femme à entrer dans le multivers afin qu’elle puisse remplir une mission importante pour le sort du monde…

Une histoire de famille

À partir de ce point de départ, les Daniel réservent à Evelyn, ainsi qu’à ceux qui l’entourent, un tour de manège enivrant. Dans un rythme effréné qui ne laisse aucun répit au spectateur, les cinéastes proposent un spectacle unique, au cours duquel Evelyn peut devenir experte d’arts martiaux dans une partie du multivers, ou grande vedette internationale dans une autre, ou cheffe d’un grand restaurant, ou amoureuse de sa perceptrice malgré des doigts subitement transformés en saucisses à hot-dog, ou même devenir une pierre. Avec, au passage, des clins d’œil à The Matrix, au cinéma de Wong Kar-wai (Chungking Express et In the Mood for Love notamment), à Tigre et dragon (dans lequel Michelle Yeoh a joué), à 2001, l’Odyssée de l’espace, et même… à Ratatouille !

La réussite de ce film où toutes les barrières connues explosent en mille couleurs tient d’abord à la force de personnages qui, malgré leurs incursions dans le multivers, restent vrais. Everything Everywhere All at Once, qui porte très bien son titre, est avant tout l’histoire d’une famille. Cette base solide permet ainsi aux Daniel toutes les extravagances, tous les excès. D’autant qu’ils font écho à la diversité de la société californienne d’une façon rarement vue dans le cinéma américain.

Appuyée par une distribution impeccable, Michelle Yeoh trouve ici un rôle à sa mesure. Présente dans chaque scène, celle qui a été révélée au public occidental grâce à Tomorrow Never Dies, un James Bond de l’ère Pierce Brosnan, affiche un aplomb de tous les instants. Et prouve à quel point elle a eu raison d’accorder sa confiance à des cinéastes dotés d’un trop-plein d’imagination. Il est très réjouissant de la voir se prêter à une expérience aussi transgressive, tout comme Jamie Lee Curtis d’ailleurs. De façon spectaculaire, ces actrices plus mûres, toujours partantes, montrent comment une prise de risque peut être gagnante.

Everything Everywhere All at Once (Tout, partout, tout à la fois en version française) est à l’affiche. À voir avec un gros sac de popcorn.

Everything Everywhere All at Once
(V.F. : Tout, partout, tout à la fois)

Comédie

Everything Everywhere All at Once
(V.F. : Tout, partout, tout à la fois)

Dan Kwan et Daniel Scheinert

Avec Michelle Yeoh, Ke Huy Quan, Jamie Lee Curtis

2 h 20

8/10