En entrevue, la réalisatrice Chinonye Chukwu affirmait à La Presse que la comédienne Alfre Woodward est capable de faire passer toute la complexité d’une histoire à travers le regard du personnage qu’elle incarne. Elle a parfaitement raison.

La qualité du film Clemency est avant tout attribuable au jeu de Mme Woodward qui y incarne Bernadine Williams, directrice des opérations dans le couloir de la mort d’une prison où le détenu Anthony Woods (Aldis Hodge) attend son exécution dans le désespoir.

Derrière le vernis de son langage corporel froid, calculé et duquel elle laisse de temps à autre émaner quelques atomes (pas plus !) d’empathie, Bernadine tente de plus en plus de colmater les fissures d’un mal-être grandissant et menaçant. À ce jeu, Alfre Woodward propose un dosage parfait, jamais appuyé. On croit de bout en bout en son personnage engagé sur la pente descendante.

La grande expérience de cette comédienne de talent y est sans doute pour quelque chose. À cela, il faut ajouter la direction d’acteurs de Chinonye Chukwu. Car le même constat est fait avec tous les autres personnages. De l’assistant de cette directrice à l’infirmier qui doit préparer l’intraveineuse du condamné à mort, en passant par les gardiens, le prêtre, les témoins, les journalistes, tous sont dans un état second palpable qui passe de l’écran au spectateur.

Cette force dans le jeu des comédiens s’ajoute au fait que ce drame carcéral, un thème récurrent au cinéma, se démarque avec son approche originale. Ici, on raconte l’histoire d’un condamné à mort du point de vue des bourreaux et des témoins. Tous, on le ressent très bien, sont confrontés à leurs valeurs. Tous sont plongés dans la tourmente.

Par ricochet, le spectateur a le sentiment de se questionner par rapport à sa propre humanité. N’est-ce pas là une des grandes beautés du cinéma ?

Contrairement à Just Mercy, autre film baignant dans les mêmes eaux sorti la semaine dernière, Clemency a été tourné avec de modestes moyens. Ça se voit à l’écran. Or, au lieu que ce soit un inconvénient, la réalisatrice a fait de cette situation un outil pour mieux illustrer son propos. La sobriété des décors et de la mise en scène accentue le climat de froideur évoqué ci-haut. Le malaise entourant l’exécution du prisonnier Anthony Woods n’est pas que moral. Il est physique tellement tout se passe dans un environnement dépouillé, où l’espoir et la rédemption n’existent pas. 

De façon oblique, le film nous fait aussi ressentir la morosité des villes américaines de taille moyenne qui survivent souvent avec une seule « industrie » locale. Ici, sans jamais qu’on le dise, la prison fait vivre la ville, de sorte que les habitants sont frappés d’une sorte de résignation glaçante.

Enfin, plusieurs échanges entre personnages visent juste, comme lorsque le mari de Bernadine lui jette au visage que sa vie est de plus en plus fragmentée.

Clemency n’est pas un film gentil. Mais c’est une œuvre percutante.

IMAGE FOURNIE PAR NEON ET MK2 | MILE END

Clemency

★★★½

Clemency. Drame carcéral de Chinonye Chukwu. Avec Alfre Woodward, Aldis Hodge et Richard Gunn. 1 h 53.

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