Qui aurait pu croire qu'un jour, l'univers d'Alice Munro s'intégrerait aussi harmonieusement dans celui de Pedro Almodóvar? C'est pourtant le cas.

Julieta est en effet inspiré de trois nouvelles de la romancière canadienne, que le chantre de la Movida a recadrées en Espagne en les fusionnant en une seule intrigue. Il reste peu de Munro à la fin, cela dit. Et beaucoup d'Almodóvar. Quelques éléments dans une dimension plus fantasmagorique peuvent quand même parfois rappeler le pays d'origine de l'auteure (un cerf court dans la neige à côté d'un train), mais Julieta s'inscrit de façon non équivoque dans la démarche habituelle de celui qui, depuis plus de 35 ans, est le chef de file du cinéma espagnol.

À une galerie de personnages féminins déjà très riches, composée au fil de 20 longs métrages, Almodóvar en ajoute ici un autre, plus vulnérable, plus tragique. L'entrée en matière est d'ailleurs remarquable. Julieta est dans ses boîtes, sur le point de se refaire une nouvelle existence à l'extérieur de Madrid avec un nouveau compagnon de vie. Dans toute la quiétude de sa maturité.

Il se trouve pourtant qu'une rencontre furtive dans la rue viendra tout faire basculer. Quelqu'un vient en effet lui parler de sa fille, disparue mystérieusement de sa vie - elles étaient pourtant très proches - il y a 12 ans. Julieta avait cru s'en être fait une raison, mais non. Cette rencontre vient tout remuer, tout bouleverser, tout remettre en question. Et fait resurgir du passé une histoire à tiroirs, du genre de celles que le cinéaste affectionne tant. Il en maîtrise d'ailleurs tous les rouages.

Au coeur du récit se trouve le thème de la culpabilité. Celle qu'imposent parfois sur vous, sans coup férir, les méandres du destin, en marge de toute connotation religieuse ou spirituelle.

Une approche très sobre

Cela dit, ce mélo très assumé est d'une grande sobriété dans la mise en scène. Comme si, cette fois, Almodóvar avait voulu mettre au premier plan les tourments intérieurs des différents personnages, faire écho à leur vraie douleur. De surcroît, le réalisateur de Parle avec elle est magnifiquement servi par les deux actrices qui incarnent Julieta à des âges différents.

Au Festival de Cannes l'an dernier, où le film a été sélectionné en compétition officielle, Almodóvar évoquait en outre son maître, Luis Buñuel, et Cet obscur objet du désir, un autre film où deux actrices incarnaient un même personnage. «Je n'aime pas vieillir artificiellement les actrices, ni les maquiller pour leur donner un visage plus âgé, avait-il alors déclaré. Il y a quelque chose de naturel dans les yeux d'une comédienne plus mûre qui ne s'invente pas. On ne peut pas maquiller un regard.»

Adriana Ugarte, révélée dans des séries télévisées espagnoles, incarne la Julieta plus jeune, amoureuse enjouée dont le destin semble emprunter une direction très enviable. Dans la peau de la Julieta plus mûre, marquée par des drames intimes dont elle a visiblement beaucoup de mal à se remettre, Emma Suárez est aussi superbe.

Après le faux pas des Amants passagers, il fait bon retrouver l'Almodóvar des beaux jours avec un film de très belle tenue.

* * * 1/2

Julieta. Drame de Pedro Almodóvar. Avec Adriana Ugarte, Emma Suárez, Rossy de Palma. 1h39.

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Image fournie par Deseo

Julieta