David Lynch tient à ce que le titre soit écrit en majuscules - ne déstabilisera pas l'amateur de l'oeuvre du réalisateur de Mulholland Drive et autres Blue Velvet.

On y retrouve les mêmes acteurs (Laura Dern, Justin Theroux, Harry Dean Stanton...), hôtels miteux, successions labyrinthiques de couloirs, éclairages stroboscopiques, tentures de velours rouge. Le même surréalisme glauque. La même manière, pour les personnages, de glisser sans prévenir d'une identité à l'autre.

Film-cauchemar

Bref, INLAND EMPIRE n'est pas un film aimable. Aussi horrifiant qu'il peut être hilarant (une bande de putes chantant Loco-Motion), il dérange plus qu'il ne berce. Et il fascinera celui qui accepte (ne pas y voir résignation mais choix!) de ne pas tout comprendre. De se laisser prendre par la main et de (res)sentir. De poser le doigt sur les cauchemars de Lynch. Qui sont, possiblement, aussi les nôtres.

Manière de double sombre de Mulholland Drive - dans le propos et jusque dans la manière : aux images léchées, au lustre sombre succèdent ici le grain et les soubresauts de la caméra vidéo - INLAND EMPIRE commence dans une chambre d'hôtel. En Pologne? Peut-être. Une prostituée regarde la télévision. Sur l'écran, des extraits de Rabbits, la série de Lynch sur internet où des humains à tête de lapins évoluent dans un genre de sitcom des années 50. Alice du Pays des merveilles a disjoncté...

Sans transition, arrivée dans une maison cossue de Los Angeles. Nikki (Laura Dern) est la maîtresse des lieux. Elle est actrice. Elle est mariée à un dangeureux personnage originaire d'un pays de l'Est (la Pologne?).

Elle reçoit la visite d'une nouvelle voisine (Grace Zabriskie, glaçante) qui s'exprime avec l'accent d'un pays de l'Est (!). L'inconnue lui raconte deux fables inquiétantes et «pas rapport». Croit-on. Erreur.

Le lendemain, Nikki participe à une lecture du scénario du film dans lequel elle va jouer, devant le réalisateur (Jeremy Irons) et avec sa covedette (Justin Theroux).

Ils apprennent alors que On High in Blue Tomorrows est en fait le remake d'un long métrage polonais (encore!) intitulé 47 et réputé maudit - après le meurtre de ses vedettes avant la fin du tournage.

Ce sont les premières pièces d'un casse-tête d'une complexité confondante. Peut-être, en fait, sans solution. Il y a la réalité. Il y a le film dans le film. Il y a le glissement - que certains appelleront dérapage (ils ont tort, bon!) - vers l'autre film, l'inachevé.

À moins que ce ne soit autre chose... Chose sûre, il y a, surtout, Laura Dern. Renversante de crédibilité dans les trois rôles qui lui sont dévolus.

Il paraît que Lynch rédigeait le scénario de INLAND EMPIRE en cours de tournage. Cela est plausible. Sent l'écriture automatique. Mais certaines fulgurances, entre autres au moment de conclure, permettent de penser qu'il savait où il allait.

Le spectateur? Honnêtement, pas tout le temps. Il y a ceux que cela dérangera. Il y a les autres. Qui seront bousculés par ce film-cauchemar, hantés par ces images qui parlent au-delà des mots, en flirtant avec le subconscient. Et qui auront envie de revoir le film, sous l'éclairage de la première expérience.

Masochisme? Si ça fait plaisir à certains de voir ça ainsi, pourquoi pas...

INLAND EMPIRE

Drame de David Lynch. Avec Laura Dern, Jeremy Irons, Harry Dean Stanton, Justin Theroux, Grace Zabriskie, Julia Ormond.

Une actrice obtient le premier rôle dans le remake d'un long métrage considéré comme maudit - ses deux têtes d'affiche originales ayant été assassinées. C'est le début du casse-tête.

Mulholland Drive passé au trash, Alice au pays des merveilles après un séjour dans les poubelles. Bienvenue dans la tête de David Lynch. On adore l'endroit de manière malsaine. Ou on le vomit allègrement.

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