Quand, en 2010, Marc Labrèche n'a pas obtenu de financement de la SODEC pour le film Le cri du rhinocéros, il était déçu, lui qui travaillait depuis trois ans à ce projet dont il devait être le réalisateur. Déçu, mais pas frustré, nous a-t-il dit hier alors qu'il participait à la ronde d'interviews à titre d'un des neuf réalisateurs du film collectif 9 - Le film, qui prendra l'affiche le 9 septembre.

«Je me rends compte que ce projet était peut-être beaucoup trop gros pour moi. Je ne méritais pas le financement. Je n'ai jamais vu ça comme quelque chose qui m'était dû. Au contraire, je me disais que pour prendre la place de quelqu'un dont c'est le métier, fallait que ton idée soit vraiment bonne.»

Cette idée, Labrèche l'a mise de côté avant de la récupérer pour en faire autre chose. Sa comédie fantastique doublée d'un faux documentaire sur un artiste qui a bouleversé le Québec presque par accident sera donc un véritable documentaire sur la date de péremption d'un artiste produit par la boîte Esperamos (Le profil Amina). La SODEC vient de lui accorder son financement, et Labrèche compte entreprendre sa préproduction à l'automne, avec l'objectif de tourner au printemps 2017. D'ici là, il se consacre entièrement à sa nouvelle émission de télé Info, sexe et mensonges.

C'est pendant que Labrèche jouait en tournée dans la pièce de Robert Lepage Les aiguilles et l'opium qu'il a pu réfléchir à la nouvelle mouture de son projet.

«Le titre Le cri du rhinocéros est devenu cette espèce d'appel du vieil artiste qui se demande encore s'il a quelque chose à dire, explique Labrèche. Et s'il a tout dit ce qu'il avait à dire, est-ce qu'il est condamné à se répéter à partir de ce moment-là ? S'il s'en rend compte, que fait-il ? Est-ce qu'il continue en se disant qu'il va peut-être revivre un état de grâce qui va lui permettre de faire quelque chose de pertinent?»

«Aussi, est-ce nécessaire d'avoir quelque chose à dire ou est-ce que tu peux juste être dans le plaisir pur de raconter quelque chose?»

Délier les langues

Labrèche a déjà tendu quelques perches à des artistes intéressés, qu'il ne veut pas nommer à ce stade-ci du projet pour ne pas trahir leur confiance. Il ne craint pas que ces témoignages soient difficiles à recueillir.

«Quand j'en parle autour de moi, même s'il y a une peur taboue, tout le monde se pose cette question-là, au-delà de la mauvaise critique, des gens qui nous aiment ou ne nous aiment pas: est-ce que je suis encore pertinent, est-ce que je suis déjà une caricature? Je suis sûr que les artistes vont vouloir m'en parler. Ça ne veut pas dire qu'ils ont une réponse.»

Labrèche veut interroger des créateurs de différentes disciplines qui sont à l'origine d'une oeuvre ou d'une impulsion plutôt que des interprètes. Il reconnaît que la question se pose sans doute avec plus d'acuité dans le domaine de la musique pop et rock, qui est un médium de jeunesse.

«C'est impossible que j'aie cette conversation-là avec Bono, mais j'aimerais ça l'avoir, dit-il. Est-ce que vous avez dépassé ce questionnement-là et vous vous dites "je fais la musique que j'aime en espérant que le plus de monde possible aime ça", ou alors est-ce qu'après trois ou quatre albums qui marchent, mais qui sont moins bien reçus, vous finissez par vous demander "est-ce que je suis un peu pathétique de vouloir persévérer?"»

Labrèche aimerait également sonder de jeunes artistes pour savoir s'ils appréhendent ce mur.

«Je ne dis pas que ces gens-là sont impliqués dans le projet, je le jure, mais qu'est-ce que Denys Arcand aurait à répondre à Xavier Dolan sur la pérennité d'une oeuvre, sur l'élan dans une oeuvre ou sur les hauts et les bas d'une carrière?» 

«Est-ce que l'oeuvre, c'est ton film le plus réussi ou l'ensemble, une espèce de thème qu'on reconnaît à travers ton oeuvre?»

Labrèche réalisera donc Le cri du rhinocéros, dont il mènera les interviews parce que le sujet l'interpelle vraiment, mais il ne veut surtout pas avoir l'air de se mettre en scène.

«S'il n'en tenait qu'à moi, sincèrement, on ne me verrait jamais. Mais l'intérêt, c'est aussi de le conceptualiser un peu, de lui donner un look sans en rajouter par-dessus la sauce. Faut que ça reste un vrai propos, mais qu'on va visualiser un petit peu.»