Emmanuelle Bercot est parvenue à faire ce que d'aucuns n'auraient pu croire encore possible: réinventer Catherine Deneuve au cinéma. De facture très réaliste, Elle s'en va constitue aussi un bel hommage à l'icône du cinéma français.

Comme beaucoup de cinéphiles, Emmanuelle Bercot éprouve une fascination pour Catherine Deneuve. Au sommet de sa profession depuis cinq décennies, l'icône du cinéma français, qui a célébré ses 70 printemps la semaine dernière, occupe une place à part dans l'esprit de l'auteure-cinéaste.

«Je ne pourrais vraiment expliquer cette fascination, fait remarquer Emmanuelle Bercot (Clément, Backstage) au cours d'un entretien téléphonique. Catherine Deneuve est la seule actrice qui provoque ce sentiment chez moi. Je la vois depuis toujours, depuis l'époque où, toute petite, on m'emmenait au cinéma. Elle a représenté tout le chemin de ma cinéphilie. Dans l'image que j'ai de la femme et de l'actrice, elle est suprême.»

La réalisatrice a ainsi écrit Elle s'en va, son troisième long métrage, expressément pour celle qui, de Demy à Téchiné en passant par Truffaut, a été l'égérie de tant de cinéastes.

«Catherine et moi nous étions déjà rencontrées en vue d'un autre projet, rappelle Emmanuelle Bercot. Il s'agissait d'une adaptation de bouquin qu'on m'avait proposée, dans laquelle elle pouvait tenir un rôle. La perspective de travailler avec elle me séduisait grandement. Je me suis attelée à l'écriture de cette adaptation un moment, mais je me suis rendu compte que le sujet ne m'intéressait pas vraiment. Quand j'ai annoncé mon retrait, Catherine semblait vraiment déçue. C'est à ce moment que j'ai décidé d'écrire un film pour elle.»

Un grand risque

Pendant un an ou presque, l'auteure-cinéaste, qui a notamment cosigné le scénario de Polisse avec Maïwenn, s'est consacrée à l'écriture d'Elle s'en va sans en souffler mot à la célèbre interprète de Belle de jour.

«J'ai pris le risque, explique-t-elle. Je ne voulais pas lui proposer quelque chose sans avoir un scénario à lui faire lire. Cela dit, je savais très bien que ce film ne se ferait jamais sans elle. Il n'était pas question de le proposer à une autre actrice en cas de refus. Heureusement, Catherine a accepté!»

Dans Elle s'en va, Catherine Deneuve incarne Bettie, une sexagénaire dont le restaurant familial de province - qu'elle dirige - est en mauvaise santé financière. Sa vie bascule le jour où elle apprend que son amant l'abandonne. Prenant la route avec l'intention de s'aérer l'esprit un moment, Bettie se retrouve à entreprendre un voyage qui la mènera vers des situations surprenantes.

La particularité du film réside dans ces rencontres entre un personnage incarné par Catherine Deneuve, qui charrie avec elle toutes ses compositions légendaires, et de parfaits inconnus, tous campés par des non-professionnels. L'actrice travaille ainsi sans filet. Et se retrouve plongée dans un contexte inhabituel.

«Je voulais proposer quelque chose d'un peu plus inattendu, précise Emmanuelle Bercot. Catherine a été partante pour tout. En écrivant, l'idée m'est très vite venue de faire jouer les quelques personnages de la vie passée de Bettie par des professionnels, Mylène Demongeot, Hafsia Herzi, Camille notamment, et tous les autres - ceux qui arrivent dans sa vie - par des gens recrutés dans les endroits que le personnage visite. Un peu comme si l'icône Deneuve quittait le domaine du cinéma pour aller à la rencontre du «vrai» peuple. Pour que cette proposition fonctionne, il fallait faire appel à des gens issus de la "vraie" vie.»

Un certain trouble

Ces rencontres donnent ainsi lieu à des moments très authentiques, mais relevaient néanmoins du pari risqué.

«Il est certain que j'appréhendais un peu le tournage, révèle la réalisatrice. Je ne savais pas comment allaient réagir ces inconnus devant une actrice comme Catherine Deneuve. Mais tout s'est fait très simplement. Aucun d'entre eux n'a perdu ses moyens devant elle. Il faut dire que, dans sa façon de se présenter aux gens, Catherine était déjà très chaleureuse, très simple. Très vite, ils l'ont vue comme Bettie.»

Ce personnage, ancienne reine de beauté, se fait d'ailleurs dire des choses très dures sur le vieillissement. Cette femme se fait aussi draguer cavalièrement par de petites frappes dans un club de seizième zone. Du coup, le décalage entre l'image que véhicule Catherine Deneuve et celle affichée dans ce film provoque un certain trouble dans l'esprit du spectateur.

«J'ai évidemment beaucoup joué là-dessus, indique l'auteure-cinéaste. Ce dispositif me semblait intéressant. Il me permettait d'inclure des éléments de comédie un peu décalés. Catherine a aussi beaucoup d'humour sur elle-même. Honnêtement, je croyais déjà tout connaître d'elle et j'ai pourtant découvert plein de choses. C'est la partie magique de cette aventure. À travers ce rôle, Catherine Deneuve nous a fait beaucoup de cadeaux.»

> Elle s'en va prend l'affiche le 8 novembre.