Ils écoutent leurs films sur leur cellulaire. Le manque de diversité culturelle les énerve. Pour eux, les recettes au box-office ne doivent pas être une priorité. Dans le cadre du 5e Prix collégial du cinéma québécois, qui sera remis le 19 mars à Québec, La Presse a réuni quatre cégépiens avides du septième art. Discussion passionnée (et surtout passionnante) sur l'avenir du cinéma d'ici.

Le cinéma québécois est riche et bon, mais il faut se retrousser les manches pour en corriger certains défauts. Ce constat, lucide et éclairé, c'est celui de cégépiens dont la culture cinématographique pourrait faire rougir d'envie plusieurs critiques. Et pourtant, ils ont à peine 20 ans.

Ils ont tous les quatre été réunis à La Presse pour une table ronde et la discussion s'est rapidement animée. «Au Québec, nous sommes multiculturels. Ce qui me plaît le plus, c'est quand un réalisateur aborde la confrontation entre les cultures», affirme Vanessa Annunzi, d'origine italienne. Vraiment?, rétorque Alexandre Gagnon, sceptique. Le débat est lancé.

«Peut-être est-ce le cas au niveau des thèmes, mais ce n'est pas ce qu'on voit à l'écran. Les minorités visibles sont sous-représentées. C'est pire qu'aux États-Unis», affirme-t-il, faisant référence au mot-clic #OscarsSoWhite, popularisé sur Twitter pour dénoncer l'absence de sélections issues de la diversité lors du dernier gala des Oscars.

«Souvent, s'il y a une minorité ethnique, elle est stéréotypée et vue au travers des yeux d'un homme blanc dans la quarantaine», ajoute Marie Chalifoux, assise devant Carla Pamela Alvarado Sanchez, une Mexicaine arrivée au Québec à l'âge de 10 ans, qui opine.

«Personnellement, les inégalités à l'écran me dérangent au plus haut point. Notre cinéma ne représente pas assez la diversité de la population québécoise.» - Alexandre Gagnon

«J'ai vraiment l'impression que certains [réalisateurs] sont encore pris dans les années 70, alors que le mouvement indépendantiste se forgeait, mais ce n'est plus ça», complète Marie.

«Mais les choses changent et nous avons un rôle à jouer pour accélérer ce changement», affirme pour sa part Carla, dont la langue maternelle est l'espagnol, qui étudie dans un cégep anglophone, mais qui raffole du cinéma québécois «pure laine».

Ses camarades de classe regardent-ils aussi des films en français avec autant d'intérêt? «La langue ne crée pas une distance. Que l'histoire soit racontée en français, en anglais ou en espagnol, une bonne histoire bien réalisée est intéressante pour n'importe qui», répond-elle.

Notre cinéma est-il trop intellectuel?

La question a polarisé le Québec un peu plus tôt cet hiver: le Gala du cinéma québécois, qui se déroulera le 20 mars, a-t-il snobé les films qui se sont démarqués au box-office afin de privilégier le cinéma d'auteur? La semaine dernière encore, sur Twitter, le propriétaire des cinémas Guzzo, Vincent Guzzo, écrivait: «Le cinéma financé avec des fonds publics devrait être d'abord divertissant, puis ensuite artistique.»

Autour de la table, les quatre cégépiens s'inscrivent en faux.

«Au Québec, je pense que notre force est de faire du cinéma pour faire du cinéma, et non pas pour faire de l'argent et pour vendre. C'est bien que certains films se démarquent à l'étranger, mais ce n'est pas le but premier.» - Vanessa Annunzi

«Le cinéma québécois est personnel et aborde des thèmes très "québécois", comme la quête identitaire. Or, nos films peuvent avoir une portée beaucoup plus vaste. Ce n'est pas pour rien qu'on se distingue souvent à Cannes, et ce n'est pas que Xavier Dolan qui y parvient», croit pour sa part Alexandre.

L'identité, la quête vers le plus grand que soi et le mélange des cultures sont trois thèmes particulièrement prisés de ces cégépiens.

«Je trouve que le cinéma québécois, c'est pour les personnes plus sérieuses et cultivées, contrairement au cinéma américain, qui est destiné aux soirées "popcorn"», croit pour sa part Carla.

Quel avenir pour le grand écran?

Ils sont jeunes, branchés (Marie est arrivée avec un téléphone intelligent à la main, écouteurs sur les oreilles, en regardant un film) et fréquentent peu les grands multiplexes. Pourquoi?

«Les cinémas sont devenus comme des parcs d'attractions. Tu paies pour avoir du fun. Il y a de la nourriture, des arcades, je me sens parfois comme à La Ronde. Le popcorn est vraiment cher, il y a des petits jeux bruyants, mais les montagnes russes sont remplacées par [des écrans IMAX]», affirme Carla.

Pour eux, le cinéma québécois ne doit pas être avant tout divertissant. «Je ne vais pas voir un film pour me divertir. J'y vais pour voir du bon cinéma et ça finit là», dit Marie, qui travaille à temps partiel dans une salle de cinéma d'auteur.

«Je suis d'accord. Un film n'a pas besoin d'être divertissant pour qu'on en apprécie certains aspects. L'histoire peut être "poche", mais tu peux apprécier du même coup la direction photo», rajoute Vanessa.

«Si ce qui cartonne se résume vraiment aux films débilitants, conçus pour faire de l'argent, on doit se poser des questions... On ne doit pas cesser de financer les films d'auteur, mais se demander pourquoi les Québécois ne sont pas davantage intéressés par ces films», affirme Alexandre.

Carla lance pour sa part une flèche vers les autres jeunes de sa génération. «Je pense que nous sommes un peu "lazy". On n'aime pas devoir réfléchir. Quand il y a des effets spéciaux, on est comme "wow, j'ai aimé l'explosion". Souvent, on choisit ce qui est facile à digérer», déplore-t-elle.

Les participants

Marie Chalifoux

20 ans, étudiante en arts et lettres au cégep du Vieux-Montréal

Meilleur film québécois: Le météore de François Delisle

Meilleur film québécois sorti récemment: Elle pis son char de Loïc Darses

Citation: «J'aime le cinéma québécois parce que ce qui se fait ici est vraiment bon, ça vient me chercher, me toucher.»

Carla Pamela Alvarado Sanchez

20 ans, étudiante en arts et lettres à Vanier

Meilleur film québécois: Pour l'amour de Dieu de Micheline Lanctôt

Meilleur film québécois paru récemment: Félix et Meira de Maxime Giroux

Citation: «J'aime le cinéma québécois parce qu'il est différent du cinéma américain, il parle moins de superhéros pour aborder des thèmes plus personnels.»

Alexandre Gagnon

20 ans, étudiant en arts et lettres au cégep de L'Assomption

Meilleur film québécois: Les ordres de Michel Brault

Meilleur film québécois paru récemment: Le profil Amina de Sophie Deraspe

Citation: «J'aime le cinéma québécois parce que je le trouve intelligent, réfléchi, et qu'au Québec, on est capable de faire beaucoup avec peu.»

Vanessa Annunzi

19 ans, étudiante en arts et lettres au conservatoire Lassalle

Meilleur film québécois: Léolo de Jean-Claude Lauzon

Meilleur film québécois paru récemment: Chorus de François Delisle

Citation: «J'aime le cinéma québécois parce qu'il est fait de plusieurs genres variés et se démarque souvent à l'international.»