Avec Mommy, le cinquième film du talentueux réalisateur de 25 ans, Xavier Dolan a voulu peindre «un portrait juste, lumineux et humain» de la classe populaire au Québec. Sans misérabilisme. Le résultat nous touche droit au coeur.

«Un véritable cyclone émotionnel», a écrit le magazine français Les Inrockuptibles, qui a consacré sa une du 20 août au réalisateur de Mommy.

Tout comme Télérama, la semaine dernière, qui «n'a pas hésité longtemps» à mettre Xavier Dolan en couverture. «Le cinéaste signe l'un des plus beaux films de l'automne, il ouvre dans la rage et l'amour fou notre sélection culturelle de la rentrée», écrit Fabienne Pascaud, la rédactrice en chef de l'influent hebdo parisien.

Pas de doute. Mommy a séduit la presse européenne et risque de faire connaître son réalisateur aux États-Unis, car le film y sera distribué avant la course aux Oscars.

Or, le jeune prodige du cinéma québécois a un rêve... Pas celui de conquérir la planète ou d'avoir son étoile sur le trottoir à Hollywood. Son rêve est plus modeste: il souhaite que les Québécois voient son dernier film en grand nombre. «Je voyage beaucoup, mais je rêve en québécois», a-t-il dit, lors de la première montréalaise de son film, lundi dernier.

Cet automne, Xavier Dolan devait faire sa rentrée universitaire et amorcer un baccalauréat en histoire de l'art... Il va plutôt faire un cours de promotion intensif pour vendre Mommy, aux États-Unis, au Canada et en Europe.

«J'ai dû mettre de côté les études, ce qui me peine. L'intention des Films Séville, c'est d'en faire un succès populaire.»

Toutefois, jusqu'ici, Xavier Dolan n'a pas connu de véritable succès populaire avec ses films. Se sent-il boudé en son propre pays? «Je respecte les divergences de goûts et d'opinions. On a le droit de ne pas aimer mes films. Mais il faut d'abord les avoir vus, dit Dolan. Au Québec, les gens connaissent mon visage ou mon nom, mais ils n'ont pas vu mes films ou s'en foutent un peu. Je regarde les chiffres et je constate. Tom à la ferme a été vu par 30 000 personnes environ. Et on est sept millions au Québec...»

Récemment, la présidente de la SODEC, Monique Simard, a affirmé en entrevue le désir que les Québécois soient aussi fiers de leur cinéma qu'ils le sont du succès de Céline Dion, du Cirque du Soleil ou de Michel Tremblay...

«En effet, je pense qu'il y a un travail à faire, au Québec en général, pour raviver le désir du public envers TOUS les films québécois, acquiesce Xavier Dolan. Souhaitons qu'avec la magie autour de Mommy depuis l'aventure cannoise, la curiosité du public québécois soit piquée. Je crois avoir réalisé un film généreux et accessible, au niveau du style, de la mise en scène, du thème (une relation mère-fils). Écoute, même Vincent Guzzo l'a dit!»

Mère courage

Mommy raconte l'histoire de Diane (Anne Dorval), une mère veuve, au chômage et chef de famille monoparentale, qui fait tout pour ne pas se retrouver sur le «B.S.». Elle doit s'occuper de son fils Steve (Antoine Olivier Pilon), atteint de trouble du déficit de l'attention avec hyperactivité (TDAH). Steve a un comportement violent et vient d'être expulsé d'un centre de jeunesse... après avoir mis le feu à la cafétéria.

Diane (surnommée D.I.E.) est une sorte de Mère courage des temps modernes transportée dans un quartier populaire de Longueuil. Malgré la pauvreté et les embûches, elle ne baisse jamais les bras. Comme le personnage de la pièce de Brecht (Mère courage et ses enfants), Diane reprend la route «avec cette obstination de ceux qui, au bout du malheur, choisissent toujours le parti de la vie».

Diane et Steve vont se lier avec leur nouvelle voisine, Kyla (Suzanne Clément), une enseignante en congé sabbatique. Elle a subi un choc traumatique pour une raison qui demeure obscure. Kyla leur apportera une forme de paix, de sécurité, d'espoir. Et beaucoup d'amour.

Mommy est un grand film d'amour et d'anarchie. L'oeuvre de Dolan rappelle Love Streams du réalisateur américain John Cassavetes. Ces trois personnages principaux sont meurtris par la vie. Mais ils recherchent sans cesse l'équilibre et l'harmonie. Ils ont une tonne d'amour à donner. Mais cela ne leur suffit pas. Au contraire, cet amour peut être destructeur.

«Ce sont des personnages défavorisés parce qu'ils ont des tempéraments incompatibles avec ce que la société qualifie de «normal», explique le cinéaste. Par leur passé, leur classe sociale, leur comportement. Diane aimerait s'approprier le rêve américain. Or, le système l'empêche d'y accéder. Pire, le système la rejette. «C'est triste, mais dans la vie, ça ne prend pas juste du courage pour se sortir de la misère, poursuit Dolan, ça prend un minimum de chance. C'est bien d'avoir de l'ambition et du guts, comme Diane. Mais si le système s'acharne sur toi, tu finis par craquer, un jour ou l'autre.»

Xavier Dolan voit Steve, interprété avec brio par le jeune Pilon, comme un électron libre. Lui-même reconnaît avoir flirté avec la délinquance durant une partie de son adolescence. Ce personnage a quelque chose d'autobiographique? «J'ai en moi la violence de Steve. J'étais paresseux à l'école et j'ai abandonné les études à 17 ans. Heureusement, j'ai réussi à exprimer et canaliser ma révolte et ma colère à travers le cinéma.»

À ses yeux, Mommy est «un portrait juste, lumineux et humain» de la classe populaire au Québec. Tout sauf misérabiliste. Dans une magnifique scène, il rend d'ailleurs un bel hommage à «notre idole nationale» Céline Dion, avec sa chanson On ne change pas.

Non au ghetto!

Xavier Dolan non plus ne change pas du tout. Avec son franc-parler, le cinéaste a le tour de faire des déclarations-chocs, de lancer des polémiques. La dernière en date l'oppose aux militants gais en France. Ces derniers jugent «consternants» les propos du réalisateur dans Télérama sur les prix donnés aux films gais, comme la Queer Palm que Dolan a obtenue à Cannes, il y a deux ans, pour Laurence Anyways.

À la question du journaliste qui lui demande s'il porte l'étiquette de cinéaste gai, Dolan a répondu: «Que de tels prix existent me dégoûte. Quel progrès y a-t-il à décerner des récompenses aussi ghettoïsantes? [...] On divise avec ces catégories. On fragmente le monde en petites communautés étanches. La Queer Palm, je ne suis pas allé la chercher. Ils veulent toujours me la remettre. Jamais!»

«J'ai uniquement dit que je suis contre les récompenses gaies, précise-t-il à La Presse. Est-ce qu'il y a des récompenses hétérosexuelles, juives? Je ne parle pas des festivals de films LGBT, comme Images et nation; ce festival est très louable.

«Ce que je dis, c'est que dans un festival international qui invite une communauté de cinéastes du monde entier à présenter leurs oeuvres, je trouve à la limite diffamatoire qu'on donne des prix pour les homosexuels. Comme si les autres prix ne s'adressaient pas à eux! Pour moi, il y a un anti-progrès dans le fait de nommer et de distinguer les films gais des autres longs métrages.

«Je sais que dans le passé, il y a des gens qui ont travaillé très fort pour me donner la liberté d'être ce que je suis aujourd'hui. Mais la Queer Palm ne s'inscrit pas dans le progrès. Ce prix renforce plutôt l'idée dans l'imaginaire collectif, qu'un cinéaste gai fait des films gais et gagne des prix gais. On se coupe d'une partie du monde en se collant des étiquettes.»

Après l'intense tournée de promotion au Québec, en Europe et aux États-Unis, Xavier Dolan va s'attaquer à son sixième long métrage qu'il veut tourner en anglais pour percer le marché américain. The Death and Life of John F. Donovan, qu'il a coécrit avec le Montréalais Jacob Tierney. Ce film racontera l'histoire d'une superstar américaine de cinéma, sur la sellette après la divulgation de sa correspondance avec un adolescent britannique qui veut devenir aussi acteur.

Dolan veut ainsi exposer le revers de la gloire et du vedettariat. Lui qui fait la une des magazines et vit sous les feux de la rampe depuis qu'il est allé, la première fois, à Cannes, à 20 ans, s'y connaît en la matière.

La notoriété a un prix. Pas seulement celui de sacrifier ses études à cause du travail.

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Mommy prend l'affiche le 19 septembre.

Ménage à trois

Anne Dorval

Avec Diane, Anne Dorval joue pour la troisième fois en six ans pour le réalisateur qui est aussi son ami. «Nous avons développé une chimie profonde, dit-elle. Je n'ai jamais travaillé avec un réalisateur comme lui. Sur un plateau, Xavier est excité, nerveux, expressif et profondément heureux. Il danse, rit et saute dans les bras des membres de l'équipe de tournage! Il nous met dans un état de détente et permet aux acteurs d'être toujours dans la vérité et nous laisse improviser.»

Le cinéaste a écrit le rôle pour Anne Dorval. Un beau cadeau. «L'écriture et les notes de Xavier sont précises. Je n'ai jamais eu l'impression de m'égarer en cours de route. Diane est très colorée. C'est une force de vie. Elle n'a aucun vernis. Elle est intelligente, mais n'a pas d'éducation ni de culture. Diane est street wise», conclut la comédienne.

Antoine Olivier Pilon

Le comédien qui vient d'avoir 17 ans est la révélation de Mommy. Après un petit rôle dans Laurence Anyways et le clip d'Indochine College Boy, Pilon collabore à nouveau avec Dolan pour ce rôle qui va lui ouvrir bien des portes dans le milieu du cinéma.

«C'est un peu dur à gérer, explique l'acteur qui joue aussi dans le téléroman Mémoires vives, à Radio-Canada. Je viens de terminer mon secondaire. Et je dois décider si je poursuis ma carrière ou si je prends une pause de la télévision et du cinéma pour faire des études supérieures... C'est un beau problème (rires).

A-t-il aimé être dirigé par Dolan?

«Sur le plateau, Xavier joue avec les acteurs quand il nous dirige. Il y a des acteurs qui sont dans leur bulle, le moindre bruit les déconcentre. Avec Xavier, il faut être capable de communiquer avec lui en jouant la scène. Il intervient et nous dit quoi faire. Il est dans l'action avec les comédiens.»

Pilon admet avoir un côté hyperactif comme son personnage. «Tant mieux, parce que je ne pouvais pas être fatigué en arrivant sur le plateau. J'étais au maximum de mon énergie à chaque instant. J'ai beaucoup de scènes très physiques où je dois courir, crier, donner des coups de poing et dire mes répliques en même temps.»

Comment qualifierait-il Steve en une phrase? «Instable. Électrique. Le genre de gars que tu as toutes les raisons de détester... et que tu finis par aimer malgré toi.»

Suzanne Clément

L'actrice qui a gagné un prix d'interprétation à Cannes pour sa prestation dans Laurence Anyways est aussi une des muses de Xavier Dolan. Cette fois, elle avoue avoir hésité avant de dire oui au cinéaste. «Kyla est le troisième larron du groupe. Au début, elle m'a fait peur, parce que les deux autres personnages sont si forts. J'ai cherché comment elle pouvait enrichir l'histoire et s'immiscer dans la vie des deux autres personnages.

«Avec Xavier et Nancy Grant [la productrice], on a développé le personnage. Il fallait mieux la définir, mais pas trop, afin qu'elle garde son mystère. Xavier a eu l'idée du bégaiement. Il l'imitait pour me montrer ce qu'il avait en tête, tout en me prévenant de ne pas faire comme lui.

«Kyla est apparue peu à peu. Il y a une partie de moi enfouie qui s'est exprimée à travers le personnage. C'est difficile à intellectualiser. Xavier nous incite à improviser. C'est comme si on créait ensemble. Il n'a pas peur des interprètes qui sont libres. Il veut que nous nous dépassions. Mais toujours dans le bonheur.»

Xavier Dolan en six dates

1989: Naissance le 20 mars, à Montréal (25 ans)

2009: Premier film: J'ai tué ma mère (Quinzaine des réalisateurs, à Cannes).

2010: Les Amours imaginaires (Un certain regard, à Cannes).

2012: Laurence Anyways (Un certain regard, à Cannes).

2013: Tom à la ferme (en compétition à la Mostra de Venise).

2014: Mommy (Prix du jury à Cannes).

Photo: Shayne Laverdière