Qu'est-ce que la voix humaine? C'est l'expression, le véhicule, le vecteur de l'âme, répondent dans une belle unanimité (mais à tour de rôle), les comédiens Lise Castonguay, Frédérike Bédard et Hans Piesbergen, interprètes de Michelle, Marie et Thomas dans le long métrage Triptyque, de Robert Lepage.

Dans cette fresque contemporaine tirée de la pièce de théâtre Lipsynch, les trois personnages principaux vont, chacun à leur façon, chercher leur voix. Leurs destins vont se croiser dans les rues et les grandes institutions de Québec, Montréal et Londres, fragiles points d'ancrage de leurs vies abîmées.

«La voix est la première chose qui nous distingue des animaux, dira à son tour Robert Lepage en entrevue. Les animaux s'expriment par des cris. Or, lorsque l'homme arrive, il amène avec lui le concept de la voix. Tout à coup, par sa présence, le son se sculpte et avec cela, la réflexion d'idées très précises, la philosophie, les croyances, etc.»

On aura compris que la chose passionne, questionne, intrigue et interpelle Robert Lepage. Ce dernier a mis deux ans et demi à transposer l'histoire de trois des principaux personnages de la pièce dans un long métrage, prenant le temps qu'il faut pour tourner les scènes longuement mitonnées.

Vivant à Québec, Michelle souffre de schizophrénie, pathologie qui s'exprime chez elle par un délire religieux et le fait qu'elle entend des voix. S'il y a un phare dans la nuit de Michelle, c'est Marie, sa soeur, Montréalaise et chanteuse de jazz. De passage à Londres, Marie apprend qu'elle souffre d'une tumeur au cerveau. L'opération risque de la rendre aphasique, lui annonce Thomas, neurochirurgien et homme de peu de mots qui s'éprend de sa patiente.

Les trois comédiens évoquent leurs personnages avec une affection visible et ont été heureux de se les réapproprier pour le long métrage.

«J'aime beaucoup Michelle, un personnage que j'ai créé au théâtre. Même si au départ, je n'étais pas certaine de vouloir la jouer. Elle est quand même dans un univers de douleur, souligne Lise Castonguay. Schizophrène, Michelle essaie constamment de se rapproprier sa vie.»

Arrivée dans le projet un an après le début de sa conception, Frédérike Bédard n'en défend pas moins le personnage qui a le plus à souffrir de perdre non seulement la voix, mais la mémoire. Chanteuse de jazz, sa Marie doit garder le cap en dépit de la chirurgie qui l'attend. «En faisant le tour du personnage, j'ai dit à Robert que je voulais explorer la réaction primaire de la voix. Marie ne peut dire de mot après son opération, alors elle va dans les vocalises. Elle exprime un magma d'angoisse.»

Quant à Hans Piesbergen, il trouve Thomas très responsable, du moins pour certaines choses. «Il est très concentré sur son travail et n'est jamais empressé avec ses patients. Il a de l'empathie, dit le souriant comédien allemand. Par contre, ce que je n'aime pas de lui est son enfermement sur lui-même. Peu à peu, cela va changer.»

Villes métaphoriques

Dans le film, les villes de Québec, Montréal et Londres constituent des métaphores de ce que vivent chacun des personnages. Dans son délire religieux, Michelle se sent ainsi assiégée par des prêtres qui longent les murs de Québec, ville de patrimoine religieux.

Par contre, Montréal est une ville fractionnée, éventrée, aux rues entaillées comme le crâne de Marie qui y habite, fait remarquer le coréalisateur Pedro Pires. «Montréal est une ville en perpétuelle reconstruction et trouée à l'image du cerveau de Marie», dit-il.

Londres? Une ville grouillante, mais plus en retenue, où la science et le savoir suintent de partout. L'endroit idéal pour le travail de Thomas. Mais une ville avec aussi un côté plus trash et ses quartiers chauds comme Soho où chante Marie.

Lepage a voulu mettre à profit les instincts cinématographiques de Pires pour mieux définir la relation intime entre chaque personnage et sa ville, ce que le théâtre ne lui permettait pas. «La ville, à l'écran, va montrer ce que vit le personnage, dit-il. Elle va mettre ses sentiments en perspective. Le cinéma nous le permet. Il fait éclater les idées pour les approfondir.»

Triptyque n'est-il pas aussi un film dans lequel Lepage rend hommage aux arts comme jamais dans ses longs métrages précédents? «Auparavant, ce n'était pas une préoccupation, répond-il. J'essayais plutôt de faire parler mes personnages, leur faire dire ce qu'ils ressentent par les mots, les mots et encore les mots. Pedro m'a appris que ce serait aussi intéressant de savoir à quoi les personnages s'intéressent. Ainsi, lorsque Thomas feuillette un livre sur Caravage, c'est plus intéressant que de lui faire dire son drame.»

Autrement dit, il y a plus d'une voie pour exprimer sa voix.

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Triptyque prend l'affiche le 25 octobre.

Filmographie de Robert Lepage

Le confessionnal (1995)

Faisant référence au film I Confess, tourné par Alfred Hitchcock à Québec en 1952, ce premier long métrage de Lepage suit les traces de Pierre Lamontagne, un homme qui retrouve son frère adoptif Marc après un séjour en Chine.

Le polygraphe (1996)

Soupçonné du meurtre de son ancienne copine, François, résidant de Québec, est soumis au test (non concluant) du détecteur de mensonges. Malgré un alibi, il en vient à douter de sa propre innocence. Film tiré de la pièce éponyme de Lepage.

(1998)

Cette comédie dramatique s'articule autour de deux événements simultanés: la crise d'Octobre et l'exposition d'Osaka en 1970. Jouant dans une pièce de Feydeau au Japon, Sophie découvre qu'elle est enceinte. Elle peine à annoncer la nouvelle à son amoureux Michel, trop occupé par ses activités felquistes.

Mondes possibles (2000)

L'univers morbide des laboratoires de recherche est omniprésent dans ce film cérébral et exigeant (Possible Worlds en version anglaise). Il se tient au milieu d'un récit qui prend pour point de départ la découverte d'un homme assassiné dont le cerveau a été extirpé de la boîte crânienne.

La face cachée de la lune (2003)

Frères, Philippe et André sont à l'opposé l'un de l'autre. Accumulant les échecs, sans le sou, le premier a l'occasion de faire sa place dans le monde après avoir été sélectionné pour diffuser un message dans l'espace. D'un retour de voyage à Moscou, il entreprend un nouveau rapprochement avec André.

Photo: fournie par Alliance

Le confessionnal