(Saguenay) Pour la première fois en 28 ans d’existence, le festival REGARD a présenté vendredi soir une compétition strictement réservée aux courts métrages autochtones. Née d’une volonté de mettre en valeur le cinéma de communautés sous-représentées, cette nouveauté a également poussé la direction à former une relève en programmation.

« Ça fait plusieurs années qu’on travaille là-dessus. C’était important pour nous de le faire bien, avec soin », note Mélissa Bouchard, directrice de la programmation.

Cette dernière le dit d’emblée : elle connaissait assez peu le cinéma des Premières Nations et des Inuits avant de se lancer dans ce projet. « Les seuls films que je connaissais étaient ceux de l’ONF et du Wapikoni mobile et je me demandais même s’il y avait assez de contenu pour faire un programme annuel. » C’est lors d’une visite au festival imagineNATIVE, à Toronto, qu’elle a réalisé qu’il était loin de manquer d’œuvres autochtones de qualité.

La direction du festival est alors allée de l’avant, d’abord en créant un comité de consultation afin de s’assurer d’être à l’écoute des communautés. Composé de l’artiste et cinéaste anichinabée Caroline Monnet, d’Alexandre Bacon, producteur chez Terre Innue, de Mélanie Brière, productrice à l’ONF, et d’André Dudemaine, directeur artistique et fondateur du festival Présence autochtone, le comité en est arrivé à un premier constat : pour bien faire les choses, il faut un programmateur autochtone.

PHOTO FOURNIE PAR REGARD

Le film Ancestral Threads, de Sean Stiller, suit Joleen Mitton dans sa mission d’utiliser la mode comme médecine pour la communauté autochtone de Vancouver.

C’est ce qui a mené à l’embauche de Vincent Careau, membre de la communauté wendat qui a récemment terminé ses études en cinéma à l’UQAM. Grâce au mentorat de Jess Murwin, artiste queer non binaire et programmateur d’origine micmaque, la recrue a pu apprendre l’art de la programmation. « Un art qui ne s’apprend pas à l’école, donc il est d’autant plus important de former une relève », précise Mélissa Bouchard.

Couvrir le spectre

Le duo a planché durant des semaines pour sélectionner les neuf films de la compétition, appelée Regards autochtones, qui touchent à des thèmes variés, de la mode à l’esclavage sur le territoire de la Nouvelle-France, et qui viennent du Canada, des États-Unis et du Groenland.

« On voulait montrer l’étendue de ce que les cinéastes autochtones sont capables de faire », explique Vincent Careau, visiblement fier du travail accompli.

Ce qui a été super, c’est de recevoir des films de cinéastes de différentes générations, qui ne sont pas au même moment de leur processus de guérison. On revient sur le passé, mais on regarde aussi vers le futur.

Vincent Careau

Il cite Gabriela, un film de passage à l’âge adulte (coming of age) qui emprunte les codes d’Hollywood, mais qui représente quand même des réalités propres aux Autochtones.

IMAGE FOURNIE PAR REGARD

Scène du film Gabriela

Courir au rythme des pas de ses ancêtres

Autre œuvre remarquée ayant frayé son chemin vers la programmation de Regards autochtones : 6 minutes/km, de Catherine Boivin. Présenté à Cannes en 2023 dans le cadre du programme Talent tout court, le film a été produit à l’occasion d’une escale du Wapikoni mobile à Odanak, dans le Centre-du-Québec, et était originellement une exposition.

Si on voit la réalisatrice courir tout au long de son film, c’est que l’idée du projet lui est venue pendant son jogging matinal. « Je voulais aborder la langue atikamekw, mes préoccupations par rapport à ça, mais aussi faire écho à l’enjeu de la forme physique des Autochtones aujourd’hui en lien avec leur mode de vie. »

PHOTO FOURNIE PAR LE FESTIVAL REGARD

Scène de 6 minutes/km, de Catherine Boivin

L’artiste multidisciplinaire estime que des programmes comme celui qui vient de naître à REGARD sont essentiels pour faire connaître les cinéastes autochtones, mais aussi pour que le public se familiarise avec leur façon de faire du cinéma.

On veut raconter nos histoires, mais surtout les raconter à notre manière, sans être obligés de rentrer dans le moule.

Catherine Boivin, réalisatrice

Une rétrospective d’une des plus éminentes cinéastes autochtones, Alanis Obomsawin, a également lieu ce samedi à REGARD1. L’occasion de revisiter l’œuvre de la réalisatrice de Kanehsatake, 270 ans de résistance et de Ruse ou traité ? en sa présence.

Les frais d’hébergement de ce reportage ont été payés par REGARD, qui n’a exercé aucun droit de regard sur son contenu.

1. Lisez notre dossier sur Alanis Obomsawin Consultez la page de Regards autochtones