Kristen Stewart n’avait jamais vu Showgirls, navet érotique de Paul Verhoeven devenu depuis 30 ans un classique du cinéma psychotronique. « Je l’ai vu au milieu de notre tournage et j’ai compris ! », confiait le mois dernier l’actrice américaine lors d’une conférence de presse au Festival de Berlin, à laquelle La Presse a assisté et où elle présentait Love Lies Bleeding de Rose Glass.

Love Lies Bleeding (D’amour et de sang en version française), qui doit prendre l’affiche le 15 mars au Québec, a de forts accents rétrokitsch. Ce qui explique sans doute pourquoi Rose Glass (Saint Maud) a conseillé à ses acteurs de voir ou de revoir Showgirls en prévision du tournage de son deuxième long métrage.

Le film de l’autrice-cinéaste de 34 ans raconte la passion amoureuse entre deux jeunes femmes à la fin des années 1980, contrariée par le contexte criminel dans lequel elle est vécue. Lou (Kristen Stewart) est la gérante sans ambition d’une salle d’entraînement d’une petite ville du Nouveau-Mexique, où elle rencontre l’ambitieuse culturiste Jackie (Katy O’Brian), en route vers une compétition à Las Vegas. Jackie a un passé trouble et mystérieux, tout comme Lou, qui est la fille d’un trafiquant d’armes traqué par le FBI (Ed Harris).

Présenté en première mondiale au Festival de Sundance en janvier, Love Lies Bleeding marie avec succès plusieurs genres : thriller romantique, film noir, comédie fantastique. C’est une satire à la fois drôle, violente, enlevante et étonnante, qui rappelle tantôt le cinéma des frères Coen, tantôt celui de Michael Mann – en particulier pour son esthétique typique des années 1980 –, musique de Bronski Beat à l’appui.

« J’ai décidé de faire ce film avant tout pour travailler avec Rose, parce que Saint Maud est l’un de mes films préférés, a déclaré la célèbre actrice de Twilight, Spencer et Personal Shopper. Elle est de celles qui croient que les femmes peuvent reprendre le pouvoir en faisant du cinéma. Elle m’a dit qu’elle voulait faire un film à propos d’une fille forte, et que j’aurais le rôle de la fille plus fragile, coincée dans son quotidien. »

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La réalisatrice Rose Glass au Festival international du film de Berlin

La reprise du pouvoir féminin

Kristen Stewart a tout de même lu le scénario avant d’accepter le rôle qui lui était offert. « C’est un scénario très intéressant, que l’on peut interpréter de tellement de façons. Je n’ai pas trouvé que c’était drôle. C’est pendant le tournage que j’ai réalisé à quel point Rose avait une inclination pour l’humour saugrenu ! »

« C’est un film qui a un côté comique affirmé, mais qui traite de sujets très durs », précise Rose Glass, qui a décidé de camper son récit aux États-Unis plutôt que dans sa Grande-Bretagne natale. « Ça me semblait plus logique et davantage en phase avec cette histoire remplie d’armes à feu et de muscles », dit-elle. Elle s’est intéressée au culturisme comme une métaphore de l’Amérique, mais aussi à la psychologie qui sous-tend cette pratique. « Je trouve ça fascinant. C’est de la performance artistique autant que du sport. On transforme son corps en sculpture, en quelque sorte. »

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Kristen Stewart

La manière que Rose a de déconstruire l’Amérique est effectivement très comique. Cette obsession américaine de l’affirmation de soi. Cette idée que quand on veut, on peut. Ce n’est pas toujours vrai, n’est-ce pas ? Même si c’est une belle idée.

Kristen Stewart

Son personnage de Lou, dit-elle, a « intériorisé beaucoup de misogynie, mais ne veut pas se retrouver du mauvais côté de l’histoire ». Love Lies Bleeding met de l’avant une autre façon de réfléchir aux stéréotypes sexuels, croit la comédienne. « Les gens que nous n’écoutons pas et que nous ne regardons pas habituellement sont au premier plan dans ce film. Les interviews que nous donnons en tant qu’artistes féminines abordent peu cette idée de la reprise du pouvoir féminin, parce que ça rend les gens mal à l’aise face au fait que les femmes ont été si opprimées. C’est fou qu’il n’y ait pas plus de films comme celui-ci. »

Une expérience valide

Rose Glass explique en revanche ne pas avoir trop réfléchi à la représentation queer dans son film. « Je n’étais intéressée que par la meilleure façon de raconter l’histoire, sans me soumettre à d’autres formes de pression venant de l’extérieur. »

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Katy O’Brian et Kristen Stewart dans Love Lies Bleeding

C’est aussi l’avis de Kristen Stewart, qui estime qu’il est grand temps de passer à un autre stade de notre réflexion face à la représentation de personnages queers au cinéma. « Je n’ai plus envie de parler uniquement des raisons pour lesquelles ces personnages sont marginalisés, mais de leur expérience réelle. Ce qu’ils aiment, quels sont leurs désirs, d’où ils viennent, où ils veulent aller. Et puis ne pas avoir l’impression de devoir toujours prendre chaque tribune pour être une porte-parole. »

« On ne peut plus se donner des tapes dans le dos, en recevant des points bonis, parce qu’on offre de l’espace à des voix marginalisées à condition qu’elles s’en tiennent qu’à ce qui les marginalise, ajoute-t-elle. On a toujours été là ! L’époque où les films queers n’étaient que des films queers est révolue. On progresse. »

En salle le vendredi 15 mars