Sophie Dupuis tourne actuellement Drag, son troisième long métrage. Comme ce titre de travail l’indique, ce film a pour cadre la scène drag queen de Montréal. Théodore Pellerin, l’acteur muse de la réalisatrice, en est la tête d’affiche avec Félix Maritaud, révélé grâce à 120 battements par minute.

Une pièce adjacente à la scène et au runway installés au troisième étage du Complexe Sky à Montréal. Au moment de la visite de La Presse, Sophie Dupuis tourne une scène de fête intime, à laquelle participent des drags en tenue « civile ». Théodore Pellerin porte une petite camisole « bedaine » verte, une minijupe rouge et des bottillons noirs. En comparaison des scènes où son personnage de drag queen – pour lequel il doit parfois mettre jusqu’à quatre heures de préparation – est en représentation, c’est une « petite » journée au bureau…

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Drag est le troisième long métrage dont Sophie Dupuis signe le scénario et la réalisation. Elle donne ici ses indications avant de tourner une scène.

Le producteur Étienne Hansez, de la société Bravo Charlie, fait d’ailleurs remarquer qu’une équipe de 15 personnes a été réunie pour le seul département des coiffures, costumes et maquillages. Cent cinquante figurants – tous recrutés dans la communauté LGBTQIA2S+ – participent au tournage, et une bonne partie du budget de cette production de 5 millions de dollars a été allouée à la libération de droits de tubes internationaux. Théodore Pellerin s’exécute, entre autres, au son de Voulez-vous (ABBA) et de Hot Stuff (Donna Summer).

La transformation de Théodore Pellerin
  • Théodore Pellerin dans Drag, le film que tourne Sophie Dupuis.

    PHOTO LOU SCAMBLE, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

    Théodore Pellerin dans Drag, le film que tourne Sophie Dupuis.

  • La production comporte une imposante équipe de maquilleurs et de coiffeurs perruquiers.

    PHOTO LOU SCAMBLE, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

    La production comporte une imposante équipe de maquilleurs et de coiffeurs perruquiers.

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Passionnée par l’art de la drag depuis très longtemps, Sophie Dupuis planche sur ce long métrage depuis deux ans. Elle a tenu à ce que son tournage soit le plus inclusif possible. Entendez par là que pour réunir sa distribution, elle a vu en audition environ 250 comédiens issus de la communauté. La plupart des principaux collaborateurs connaissent également ce milieu de l’intérieur.

« Je vois vraiment une différence, confie la cinéaste au moment d’une pause. Les discussions que nous avons eues avec les personnes queer qui jouent dans Drag ont beaucoup enrichi le projet, parce que leur perspective diffère de celle des hétéros. Les émotions, la façon d’être en couple, d’évoluer en société… »

Je n’aurais sans doute pas pu faire le même film si je n’étais pas entourée d’elles. On a mis une grande attention à faire ces choix, de façon à ouvrir nos bras à toute la communauté, avec des gens de tous les âges.

Sophie Dupuis, réalisatrice

Deux acteurs inspirés

Théodore Pellerin, dont les compositions étaient saisissantes dans Chien de garde et Souterrain, les deux premiers longs métrages de Sophie Dupuis, se glisse cette fois dans la peau de Simon, étoile montante dans le monde des drag queens. Son histoire d’amour avec Olivier (Félix Maritaud), nouvelle recrue du bar-spectacle où il se produit, est progressivement marquée par une dynamique toxique découlant de la personnalité narcissique de cette dernière. En parallèle, Simon tente de renouer avec sa mère (Anne-Marie Cadieux), une célèbre chanteuse d’opéra qui revient au pays après une quinzaine d’années d’absence.

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Félix Maritaud et Théodore Pellerin sont les deux têtes d’affiche de Drag, le film que tourne actuellement Sophie Dupuis.

« Je me souviens qu’à la fin du tournage de Chien de garde, Sophie m’a demandé s’il y avait un type de personnage que j’aimerais jouer, rappelle Théodore Pellerin. J’ai répondu : une drag queen ! Ça fait vraiment longtemps que la drag fait partie de mon imaginaire et je ne saurais expliquer pourquoi. J’avais cette envie d’explorer une féminité poussée à l’extrême, limite clownesque, comme une façon, peut-être, de me libérer d’une construction masculine qui n’est ni maladive ni oppressante, mais quand même présente. Cette exploration me donne vraiment la liberté de naviguer d’un genre à l’autre. »

Même s’il affirme ne pas savoir « comment faire » pour se préparer à un rôle, l’acteur, impliqué dans le processus créatif de Sophie Dupuis depuis le début, s’est néanmoins bien documenté sur la culture queer et son histoire.

Les compétitions de drag ont aujourd’hui intégré la culture populaire, mais je reste tellement impressionné par ces drag queens qui, il y a des décennies, ont porté cette culture underground dans une société déjà homophobe, qui l’était encore davantage envers ces hommes qu’on disait efféminés.

Théodore Pellerin, acteur

« Le courage, la force et la liberté d’esprit dont elles ont fait preuve pour exister à cette époque ont vraiment fait de ces personnes des phares. Aujourd’hui, nous sommes rendus ailleurs grâce à elles. Même si, dans ce film somme toute lumineux, la relation entre Simon et Olivier est toxique, la drag représente un espace de liberté, de création et de validation. »

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La relation amoureuse que vivent les personnages qu’interprètent Théodore Pellerin et Félix Maritaud dans Drag devient progressivement toxique.

Révélé il y a cinq ans grâce à 120 battements par minute, long métrage remarquable de Robin Campillo (Grand Prix à Cannes en 2017 et César du meilleur film en 2018), Félix Maritaud s’est de son côté retrouvé sur le plateau de Drag après avoir reçu un courriel et un scénario. Sophie Dupuis a vite pensé à offrir le rôle d’Olivier à cette icône de la culture queer en France, non sans avoir eu quelques appréhensions.

« Quand je lui ai envoyé le scénario, j’étais terrorisée parce que je me disais que si lui n’aimait pas ça, ça voulait dire que le film était mal écrit, précise la cinéaste. Je savais que Félix pouvait avoir un bon jugement sur cette histoire. Fort heureusement, il nous a répondu très vite. Il est d’ailleurs ici depuis le mois de décembre pour se préparer ! »

Un geste politique

Sophie Dupuis estime par ailleurs que monter sur scène en drag constitue encore aujourd’hui un geste politique, malgré la présence d’émissions comme Drag Race, lesquelles ont contribué à faire connaître cet art et à l’intégrer dans la culture populaire.

« Dans cette discipline, il n’y a pas de genre, pas de sexualité prédominante, plus de barrières, fait-elle remarquer. On y déconstruit le monde hétéronormatif. Il reste encore beaucoup de travail à faire, car on ne fait que commencer à envisager une société où les questions de genre ne seraient plus un enjeu. Je crois que, clairement, les jeunes vont beaucoup nous aider à grandir collectivement. Et je me rends compte à quel point ce projet-là va faire du bien ! »

Drag (titre de travail), dont le tournage se poursuit jusqu’au 30 mars, prendra l’affiche en 2023. La distribution en sera assurée par la société Axia Films.