Entre deux achats compulsifs de papier hygiénique, les Californiens se sont rués comme jamais dans les cinéparcs avant que les mesures de confinement liées à la COVID n’entrent en vigueur. À l’ombre d’Hollywood, pas question de se priver de la dernière superproduction sur grand écran. Et encore moins quand on reste dans sa voiture, isolé de tous les autres spectateurs et de leurs possibles virus.

Au Québec, des propriétaires de cinéparcs – il n’en reste que cinq – ont pensé un moment qu’ils feraient, eux aussi, de bonnes affaires en cette période de COVID-19. La population est avide de divertissement alors que cinémas, théâtres, musées, bars et tout le reste sont fermés. « On s’est dit qu’on pourrait ouvrir dès avril », raconte Nicolas Vallier, propriétaire du cinéparc Belle-Neige, inauguré l’été dernier au pied des pentes du centre de ski du même nom.

Évidemment, l’ouverture n’aurait pas été possible sans prendre quelques dispositions : la cantine serait restée fermée, seuls les paiements par carte auraient été autorisés, et on aurait interdit aux spectateurs de sortir de leur voiture. « On aurait fait en sorte de garder au strict minimum le nombre d’employés », explique Nicolas Vallier.

Mais le projet s’est buté bien rapidement à la décision du gouvernement Legault d’interdire tous les rassemblements pour freiner la propagation de la COVID. L’idée d’une ouverture hâtive a été mise de côté. En fait, une ouverture tout court est exclue pour le moment dans tous les cinéparcs de la province.

2,1 %

Part de marché des cinéparcs dans le box-office québécois en 2019. Ce pourcentage était de 2 % l’année précédente. 

Source : Cinéac

« On espère encore commencer le 1er mai, mais seulement si les mesures [de confinement] sont levées », dit Normand Mathers, gérant du cinéparc Saint-Eustache, le plus grand du pays, avec 3200 espaces de stationnement. « Ouvrir en obligeant les gens à rester dans leur auto, ça n’est pas vraiment une option. Les gens ont l’habitude d’arriver vers 19 h pour avoir une bonne place. Les enfants jouent au soccer, les gens se promènent. On va faire quoi ? Dire à tout le monde de pas sortir de sa voiture jusqu’à ce que le film commence à 20 h 30 ? Même si les gens prenaient l’habitude d’arriver plus tard, ça serait difficile. »

Ça prendrait combien de gardes de sécurité pour faire respecter le règlement ? Beaucoup trop.

Normand Mathers, gérant du cinéparc Saint-Eustache

Avant les cinémas ?

N’empêche, « les cinéparcs ont de fortes chances d’ouvrir avant les cinémas, estime Yvan Fontaine, nouveau propriétaire du cinéparc Orford et de salles de cinéma à Québec, Cowansville et Magog. Ce sera plus facile d’y appliquer des mesures de distanciation ». 

Yvan Fontaine entend faire des démarches auprès du gouvernement prochainement et présenter un plan de réouverture partielle, par exemple en diminuant de moitié l’assistance pour assurer une plus grande distance entre chaque automobile, en prévoyant une désinfection des toilettes entre chaque usager, en n’offrant pas de service de restauration, etc.

« On sait que les gens ont besoin de divertissement, mais on ne se voit pas mettre nos employés ou la population en danger pour ça », note Kevin Patenaude, copropriétaire du cinéparc Saint-Hilaire.

Et puis, il y a aussi la question des films qui pourront être projetés sur les écrans des cinéparcs, quand les restrictions seront assouplies. La sortie de plusieurs blockbusters américains très attendus a été reportée.

Si les cinémas ne rouvrent pas en même temps aux États-Unis que chez nous, qu’est-ce qu’on aura à présenter ? On n’aura pas de nouveautés. C’est notre autre grande peur.

Kevin Patenaude, copropriétaire du cinéparc Saint-Hilaire

« On pourrait repasser des succès récents, sortis au cinéma juste avant la fermeture des cinémas, avance Yvan Fontaine. Mais on ne tiendra pas plus de deux, trois semaines avec ça. » Et du côté des productions québécoises ? « On n’attendait pas de grosse sortie cet été », note Yvan Fontaine.

Reste la fibre nostalgique à exploiter, en repassant des films qui rappelleront au public sa vie « d’avant ». Voir le vieux Top Gun au lieu du nouveau qui devait sortir cet été ? Pourquoi pas ? Mais là encore, il y a des limites : encore faut-il que les films soient offerts en version numérique et que les droits soient accessibles, remarquent les directeurs de cinéparcs.

Cela dit, en l’absence des festivals, concerts et autres concurrents pour occuper les soirées d’été, les cinéparcs pourraient malgré tout s’avérer très populaires cet été. D’autant que, au cours des dernières années, l’achalandage était plutôt en hausse : après un creux de 140 000 spectateurs en 2013, l’Institut de la statistique du Québec en a dénombré 240 000 en 2018. « On a eu notre meilleure année en 30 ans l’an dernier, dit Kevin Patenaude. Et la deuxième il y a deux ans ! »

D’ailleurs, des propriétaires n’excluent pas d’étirer la saison en septembre, voire au début d’octobre, si elle démarre plus tard cette année ou si les cinémas restent fermés à l’automne.