Dans la BD Arkham Asylum (1989), de Grant Morrison, des psychiatres concluent que le Joker est un être parfaitement adapté à la société d’aujourd’hui, car il se redéfinit constamment. À la veille de sa cinquième personnification au grand écran, voyons comment le clown du crime s’est adapté aux différentes époques.

PHOTO FOURNIE PAR TWENTIETH CENTURY FOX

Cesar Romero

Cesar Romero
Batman : The Movie (1966)

Le Joker est né dans la bande dessinée Batman #1, en 1940. La création de Bill Finger, Bob Kane et Jerry Robinson est d’abord présentée comme un maître du crime aux tendances psychopathes. Le personnage a été passablement adouci pour son passage à la télévision, en 1966, dans la série Batman. La première saison se conclut par la sortie d’un film dans lequel Cesar Romero se glisse de nouveau dans la peau du Joker. « Le personnage est plus clownesque et son esthétique correspond aux années 60, constate Megan Bédard, doctorante en sémiologie à l’Université du Québec à Montréal. Les vilains de cette époque sont à peu près tous des gangsters. C’était la police contre les méchants. »

PHOTO FOURNIE PAR WARNER BROS.

Jack Nicholson

Jack Nicholson
Batman (1989)

« Les années 80, c’est le moment où toutes les bandes dessinées de superhéros s’assombrissent et deviennent plus complexes. On pense entre autres à The Dark Knight Returns [1986] ou à The Killing Joke [1988]. C’est le reflet d’une époque pessimiste à la moralité un peu ambiguë, attribuable entre autres à la présidence de [Ronald] Reagan », estime la spécialiste en étude de la culture populaire. Le film de Tim Burton est de son temps, mais plus caricatural que les BD. « La personnalité du réalisateur se remarque très aisément dans sa version de Batman et du Joker, souligne Megan Bédard. Jack Nicholson, avec toutes ses expressions faciales, fait ressortir un peu plus la folie du personnage, qui commence à devenir vraiment plus inquiétant. »

PHOTO FOURNIE PAR WARNER BROS.

Heath Ledger

Heath Ledger
The Dark Knight (2008)

Dans le deuxième chapitre de la trilogie de Christopher Nolan consacrée à Batman, le Joker s’oppose de nouveau au Chevalier noir. « Une partie de la trilogie de Nolan est sortie pendant les mandats d’Obama. Il y avait alors cette vision du superhéros comme sauveur et, dans une Amérique post-11-Septembre, le Joker jouait le rôle du terroriste », estime Megan Bédard, qui a écrit une dissertation intitulée « Temporalité, métafiction et dédoublements du Joker ». Elle ajoute que le Joker de Heath Ledger, oscarisé de manière posthume pour sa performance, propose « une version chaotique du terrorisme ». « Il brûle entre autres une pile de billets pour montrer que l’argent est arbitraire et qu’il n’a de la valeur que parce que la société lui en a donné. »

PHOTO FOURNIE PAR WARNER BROS.

Jared Leto

Jared Leto
Suicide Squad (2016)

David Ayer, qui a réalisé Suicide Squad, a mentionné en entrevue qu’il voyait le Joker comme « un homme moderne qui a beaucoup en commun avec les gangsters contemporains ». Megan Bédard est perplexe : « Je n’ai vraiment pas compris ce qu’ils ont voulu faire. Il n’est pas du tout le personnage chaotique qui s’oppose habituellement aux conventions. Son esthétique détonne par rapport aux représentations antérieures. C’est peut-être un retour aux sources des antécédents criminels du personnage… » En effet, ses fusils et couteaux personnalisés, ses vêtements aux matières riches et ses multiples bijoux et tatouages semblent directement tirés du gangsta rap. Au final, le Joker est davantage un personnage secondaire dans le film, qui s’intéresse surtout à Harley Quinn, psychiatre qui traitait le clown du crime, mais qui est tombée sous son charme.

PHOTO FOURNIE PAR WARNER BROS.

Joaquin Phoenix

Joaquin Phoenix
Joker (2019)

Sans l’avoir encore vu, on sait que le film de Todd Philips retrace les origines du Joker, qui n’ont jamais été racontées au cinéma et très peu dans les BD. « L’origine de sa folie et de sa violence sera mise de l’avant. On pourra peut-être comprendre les motivations derrière sa révolte, suppose Megan Bédard, qui est aussi coanimatrice de la balado Pop-en-stock. On se doute que c’est le récit d’une personne mésadaptée socialement, qui est rejetée par la société et qui se venge par la violence. Ça peut être dangereux de faire ce genre de film avec la montée des discours incel [involuntary celibate ou célibataires involontaires], entre autres », ajoute-t-elle. Les studios Warner Bros. ont d’ailleurs tenu à préciser que le Joker n’est pas dépeint comme un héros dans le film qui porte son nom.

Joker, à l’affiche le 5 octobre