Quand Disney a annoncé mercredi que la chanteuse et actrice afro-américaine Halle Bailey incarnerait Ariel dans la nouvelle adaptation de The Little Mermaid (La petite sirène), de nombreux internautes ont applaudi ce choix. D’autres ont déploré le manque de ressemblance avec le personnage animé, allant jusqu’à proférer des remarques racistes. Le mot-clic #notmyariel a même déferlé sur Twitter.

IMAGE TIRÉE DU COMPTE TWITTER @CHLOEXHALLE

Hier, Halle Bailey a publié un gazouillis accompagné d’un dessin d’une Ariel à son image.

Une Ariel à la peau noire

L’héroïne du film d’animation de 1989, au teint clair et aux cheveux rouges, aura la peau foncée dans l’adaptation en prises de vues réelles de La petite sirène. Un « rêve devenu réalité », a écrit Halle Bailey, 19 ans, dans un gazouillis accompagné d’un dessin d’une Ariel à son image — un affront pour certains admirateurs de Disney. La frustration était indéniable, alors que le sujet s’est maintenu dans les tendances Twitter une partie de la journée, hier. L’enthousiasme de la majorité des internautes contrastait avec des commentaires tels « Je suis dégoûté », « Elle n’est pas Ariel et ne le sera jamais » et « Mon enfance est gâchée ». « On voit beaucoup de misogynie noire en réaction à l’annonce », dit la Montréalaise Gabriella Kinté, autrice, militante antiraciste et fondatrice de la librairie Racines. « On dévalorise le corps [de l’actrice], on propose des femmes blanches “plus belles”, “qui chantent mieux”. » La libraire n’hésite pas à parler de « racisme systémique ».

PHOTO FOURNIE PAR PARAMOUNT PICTURES

Scarlett Johansson dans Ghost in the Shell (2017)

Blackwashing ?

L’imaginaire de beaucoup est secoué, et certains trouvent cela inacceptable. Le terme blackwashing revient souvent parmi les tweets de frustration. Par opposition au whitewashing, il s’agirait de rendre noirs des personnages censés être blancs, ce qui invisibiliserait ainsi les acteurs blancs. « On dénonce le fait qu’une femme noire a été choisie pour un rôle “traditionnellement blanc”, un terme qui vient me chercher », dit Gabriella Kinté. On affirme que la couleur de peau de l’héroïne ne doit pas changer « parce que c’est un classique ». Mais, puisque la diversité n’était pas le fort des productions pour enfants à l’époque, « on ferme la porte aux personnes racisées et on ne laisse pas de place à la diversité pour le futur », soulève Gabriella Kinté. Le whitewashing, lui, existe bel et bien, indique-t-elle. Pensons à Scarlett Johansson qui a été choisie pour jouer une héroïne asiatique dans Ghost in the Shell, à Rooney Mara dans le rôle de l’Amérindienne Tiger Lily dans Pan ou encore à Jake Gyllenhaal incarnant le « prince de Perse ».

PHOTO ÉDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Gabriella Kinté, autrice, militante antiraciste et fondatrice
de la librairie Racines

La diversité chez Disney

Tamara Rousseau est l’auteure d’un mémoire sur les changements de l’archétype du héros durant la renaissance de Disney (de 1989, année de sortie de La petite sirène, à 1999). « Chez Disney, les personnages “autres” [que blancs] apparaissent dans la période pré-renaissance comme étant les antagonistes », analyse-t-elle. Les personnages noirs, eux, sont inexistants. Dans Maleficent, par exemple, tous les protagonistes sont blancs, mais la « méchante » a la peau verte. Gabriella Kinté dit avoir beaucoup consommé de films de Disney dans sa jeunesse. La trentenaire faisait partie du public cible des films Disney des années 90 et déplore « l’impact néfaste pour [elle] et pour les jeunes filles aujourd’hui » du manque de représentativité. « C’est plate qu’on ne puisse pas être des princesses », soupire-t-elle. « Aujourd’hui, chez Disney, on voit une plus grande représentation ethnique, et ce, même chez les héros et héroïnes, note Tamara Rousseau. Quant à savoir si cette ouverture tient à un souci de représentation ou si c’est uniquement dans le but de faire plus d’argent, l’histoire ne le dit pas. Probablement un peu des deux. » Une première princesse noire, Tiana, a vu le jour dans The Princess and the Frog, en 2009. Depuis, on a créé Moana (avec une héroïne d’origine maui), donné sa version en prises de vues réelles à Aladdin (avec le Canadien d’origine égyptienne Mena Massoud, la Britannique d’ascendance indienne Naomi Scott et Will Smith) et attribué le rôle de Mulan (film prévu pour 2020) à l’actrice sinoa-méricaine Liu Yifei.

PHOTO FOURNIE PAR THE CW NETWORK

Camila Mendes dans Riverdale

Color-blind casting

Le personnage d’Ariel est un échantillon du phénomène qu’on appelle color-blind casting, soit la distribution « daltonienne » de rôles ou qui n’en voit pas les couleurs. Un personnage blanc ou dont l’ethnie n’est pas définie pourra alors être joué par un acteur de n’importe quelle provenance culturelle, ce qui permet plus de diversité, mais qui ne fait pas que des heureux. Quelques exemples récents : la Brésilienne Camila Mendes est la nouvelle Veronica d’Archie, dans la populaire série de Netflix Riverdale ; la Britannique Noma Dumezweni joue Hermione Granger dans la pièce de théâtre Harry Potter et l’enfant maudit ; la toute jeune Afro-Américaine Quvenzhané Wallis a pris les traits d’Annie dans la relecture du film du même nom. Michael B. Jordan, la Torche humaine des Fantastic Four de 2015, compte aussi parmi les nombreux exemples.

PHOTO  EVAN AGOSTINI, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Les sœurs Halle et Chloe Bailey forment le duo R&B Chloe X Halle.

L’accueil positif

Tous n’ont pas rejeté avec véhémence l’arrivée de Halle Bailey sous l’océan. Sur les réseaux sociaux, beaucoup y ont vu une belle ouverture. C’est « une excellente nouvelle, affirme Tamara Rousseau. D’une part, le lieu géographique exact où se situe l’histoire est inconnu, alors on ne peut pas dire que ça n’a pas de sens qu’une sirène soit noire. » Mme Rousseau soulève surtout l’importance de varier les représentations culturelles chez les héros et héroïnes de films pour enfants. « On a vu avec Black Panther à quel point avoir des modèles noirs à émuler était bénéfique pour [eux]. Alors, avoir un personnage aussi populaire qu’Ariel interprété par une femme noire, c’est génial. » Le Canadien Jacob Tremblay et la rappeuse et actrice américaine Awkwafina seront aussi de la distribution du film, qui sera réalisé par Rob Marshall (Mary Poppins Returns, Chicago).