(Chicago) À Chicago, où une vague de froid a sévi en janvier, les stations de recharge n’étaient pas un endroit joyeux : batteries à plat, automobilistes à cran, longues files d’attente dans la rue.

« Quand il fait aussi froid, les autos fonctionnent mal, les chargeurs fonctionnent mal et les gens fonctionnent mal aussi », dit en soupirant le chauffeur d’Uber Javed Spencer. Durant trois jours en janvier, il n’a pas fait grand-chose à part charger et recharger sa Chevrolet Bolt et s’inquiéter de manquer de jus, encore une fois.

M. Spencer, 27 ans, raconte s’être dirigé vers une station de recharge alors qu’il lui restait 40 km d’autonomie. En quelques minutes, la batterie était à plat. Il a dû faire remorquer sa voiture jusqu’à la station. « Quand j’ai fini par la brancher, elle ne se chargeait pas. La recharge a duré cinq heures. C’est une heure, habituellement. »

Les vagues de froid de cet hiver ont causé des tracas aux propriétaires d’autos électriques, qui n’ont jamais été aussi nombreux : le grand froid décharge les batteries et réduit l’autonomie.

La mi-janvier a été glaciale à Chicago et dans diverses régions des États-Unis et du Canada. Les 14 et 15 janvier, il a fait -23 oC dans la région de Chicago. Et il a neigé.

« Je ne veux pas vraiment d’une Tesla »

Il faut plus d’énergie pour chauffer la batterie et l’habitacle par temps froid, donc c’est normal que l’autonomie baisse, rappelle Tesla sur son site web, qui conseille de maintenir le niveau de charge au-dessus de 20 % pour réduire l’impact du froid. Tesla recommande aussi d’enregistrer à l’avance le début d’un trajet avec la fonction « départ programmé », afin que le véhicule commence la charge et le préconditionnement au meilleur moment. Cela permet un fonctionnement optimal dès le démarrage.

Le 16 janvier, dans un stationnement glacial de Chicago, des conducteurs patientaient en attendant de pouvoir recharger leur Tesla.

PHOTO CARLOS OSORIO, ASSOCIATED PRESS

Une automobiliste s’apprête à brancher sa Tesla.

Ce matin-là, en arrivant à sa Tesla, l’ingénieur Nick Sethi, 35 ans, s’était buté à des portes gelées. Il avait passé une heure à se battre avec les serrures, à -20 oC avant de réussir, enfin, à activer la poignée du hayon. Il a grimpé à bord et conduit son VUS Model Y Long Range sur 8 km jusqu’à la station de recharge la plus proche. Il a rejoint une longue file d’attente.

Les 12 bornes étaient occupées, les conducteurs ralentissant un brin le processus en restant chacun dans son véhicule, le chauffage à fond.

Avoir une Tesla par grand froid, « c’est les montagnes russes », a déclaré M. Sethi, qui a quitté la chaleur du Texas pour Chicago au printemps dernier. « Je vais passer l’hiver, je déciderai ensuite si je la garde. »

Quelques bornes de recharge plus loin, Joshalin Rivera se posait elle aussi des questions sur sa décision d’acheter une auto électrique. Elle était assise dans sa Model 3 2023, la chaufferette au maximum, tandis que la batterie se rechargeait.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Des bornes de supercharge Tesla, à Magog

« Si vous faites la queue dans cette file d’attente et qu’il ne vous reste que 50 milles [80 km] d’autonomie au tableau de bord, vous n’y arriverez pas », a assuré Mme Rivera, en montrant la file de véhicules s’étirant tout au long de la rue Elston. Elle a ajouté qu’elle avait vu une Tesla tomber en panne de batterie peu après qu’un conducteur a tenté de couper la file d’attente.

Dans des conditions normales, la voiture de Joshalin Rivera peut parcourir environ 400 km avec une charge de 30 minutes. Cette semaine, Mme Rivera a affirmé que le matin, le tiers de la batterie était vidé par le froid de la nuit. Elle a passé des heures chaque matin à faire la queue et à recharger la batterie.

« Alors, c’est un peu comme... je ne veux pas vraiment d’une Tesla », a-t-elle affirmé.

Pourquoi le froid décharge-t-il les batteries ?

Contrairement aux voitures traditionnelles, une tout-électrique a deux batteries : une à basse tension (12 volts) et une à haute tension. Par temps très froid, la batterie de 12 volts peut se décharger, comme celle des véhicules traditionnels.

Dans ce cas, l’auto électrique ne peut pas se recharger à un chargeur rapide tant que la batterie de 12 volts n’a pas été survoltée, explique Albert Gore, un ancien de chez Tesla aujourd’hui directeur de la Zero Emission Transportation Association, qui représente des constructeurs automobiles (et qui a publié une fiche-conseil sur l’utilisation des véhicules électriques par temps froid).

Le grand froid ralentit les réactions chimiques des deux côtés de la batterie, l’anode et la cathode. Cela touche à la fois la charge et la décharge de la batterie, explique Jack Brouwer, directeur du Clean Energy Institute et professeur d’ingénierie mécanique et aérospatiale à l’Université de Californie, à Irvine : « C’est très difficile de faire fonctionner les véhicules à batterie par grand froid. On ne peut pas charger ou décharger une batterie aussi vite s’il fait froid. Il n’y a pas de moyen physique de contourner le problème. »

Une demande d’entrevue à Tesla est restée sans réponse.

Ces problèmes ne se posent pas en Norvège.

Parmi ceux qui font le bilan de ce qui s’est passé à Chicago, certains pensent que l’infrastructure de recharge a tout simplement été dépassée par le froid extrême.

PHOTO ARCHIVES REUTERS

Des voitures électriques en recharge à Gulsvik, en Norvège. L’hiver, les batteries prennent plus de temps à charger, mais de nombreux Norvégiens vantent les aspects positifs de la conduite hivernale, notamment l’instantanéité de la traction.

« L’usage à grande échelle de l’auto électrique commence à peine, dit M. Gore. Ce n’est pas un problème insurmontable, des solutions ont été trouvées ailleurs. »

Certains pays où l’auto électrique est très répandue sont très froids.

En Norvège, où près d’un véhicule sur quatre est électrique, les automobilistes ont appris des trucs (comme préchauffer la voiture avant un trajet) pour augmenter l’efficacité par temps froid, dit Lars Godbolt, de l’Association norvégienne pour le véhicule électrique, qui représente plus de 120 000 propriétaires de voitures électriques.

Durant l’hiver, les files d’attente sont plus longues devant les stations de recharge, car la recharge est plus lente par temps froid, mais ce problème s’atténue à mesure que le gouvernement ajoute des bornes publiques, dit M. Godbolt, citant un sondage mené auprès de ses membres. En outre, la majorité des Norvégiens vivent dans des maisons, pas dans des appartements : près de 90 % des propriétaires de véhicules électriques ont leur propre borne chez eux.

Dans le monde, 14 % des nouvelles voitures vendues en 2022 étaient électriques, comparativement à 9 % en 2021 et moins de 5 % en 2020, selon l’Agence internationale de l’énergie. En Europe, la Norvège, la Suède, l’Islande, la Finlande et le Danemark sont les pays où l’auto électrique a eu les plus importantes parts de marché selon les immatriculations de 2022, d’après l’Agence européenne pour l’environnement.

Avec les progrès techniques, le froid devrait devenir un enjeu de moins en moins important. Déjà, ces dernières années, les constructeurs ont amélioré l’efficacité par temps froid des nouveaux modèles. « Ces nouveaux défis surgissent et l’industrie innove pour résoudre, au moins en partie, bon nombre de ces problèmes », estime M. Godbolt.

Tous les véhicules, même traditionnels, sont moins performants par temps froid, souligne James Boley, porte-parole de la Society of Motor Manufacturers and Traders, qui fédère plus de 800 entreprises automobiles en Angleterre. Selon lui, le problème n’est pas tant l’efficacité des véhicules électriques par temps froid que le nombre insuffisant de stations de recharge.

Au volant d’une voiture traditionnelle, un automobiliste est sûr de trouver un poste d’essence ; il ne s’en fait pas si le froid réduit l’efficacité du véhicule. Mais pour celui qui roule électrique, « si l’infrastructure de recharge électrique est insuffisante, ça peut être plus préoccupant ».

Javed Spencer, le chauffeur d’Uber, a des doutes sur la viabilité économique de rouler électrique durant les hivers de Chicago. Uber a annoncé des rabais sur la recharge à ses chauffeurs, mais M. Spencer n’est pas convaincu.

« Le revenu est le même, mais le coût pour les conducteurs, avec toutes ces recharges supplémentaires, est beaucoup plus élevé », a-t-il souligné.

Cet article a été publié dans le New York Times.

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