La motoneige électrique fait son arrivée sur les sentiers du Québec. Notre collaborateur en a fait l’essai.

Sans descendre de sa motoneige électrique, la guide profite d’un arrêt à une intersection pour donner ses instructions au convoi derrière elle. Elle prend soudainement un air étonné. « C’est malade ! On est capables de se parler ! Pas besoin de se faire des signes ! », s’exclame Andréanne Ouellet, propriétaire de Saguenay Aventures.

Les trois motoneiges Taiga à l’arrêt n’émettent, en effet, aucun son. Partis de L’Anse-Saint-Jean, leurs apprentis conducteurs reviennent du quai de Petit-Saguenay où ils ont pu admirer la magnificence du fjord enneigé avant d’effectuer un demi-tour. Ils feront cette balade d’initiation de 45 kilomètres en un peu moins de deux heures, avec des pointes de vitesse de 40 km/h.

Ce rythme de croisière, qu’on pourrait qualifier de « contemplatif » en comparaison avec la puissance des modèles à essence, ne déplaît pourtant pas au groupe. Au contraire, à l’arrivée, les quatre motoneigistes néophytes avouent leur surprise d’avoir aimé l’expérience au plus haut point.

Pourtant, enfourcher un bolide à skis et à chenilles pour parcourir les sentiers enneigés ne fait pas partie de leurs habitudes, encore moins de leurs valeurs environnementales, disent-ils, chacun à leur façon. Mais les attraits d’un véhicule électrique viennent changer la donne, ajoutent-ils aussitôt.

PHOTO ANDRÉ LAROCHE, COLLABORATION SPÉCIALE

Une pause bien méritée pour contempler le paysage

« J’ai toujours refusé à mes fils d’acheter une motoneige parce que je trouve ça bruyant et polluant. Mais là, je suis plus ouverte à l’idée », confie en riant Valya, mère de trois jeunes garçons de 8 à 10 ans et propriétaire d’une boutique de location de vélos électriques avec son mari Graham.

Ce dernier hoche la tête avec approbation. « Cela permet d’aller découvrir l’arrière-pays, dans des endroits trop loin pour y aller en skis ou en raquettes. Me rendre là-bas à essence m’intéresse zéro. Mais avec ça, c’est différent », explique-t-il après avoir découvert des points de vue tout près de chez lui. « Et pourtant, cela fait 20 ans que j’habite ici. »

Leurs deux compagnons d’excursion partagent cet enthousiasme. Même la durée de 90 minutes pour une recharge complète de la batterie ne refroidit pas leurs ardeurs.

« Je prendrais une motoneige électrique n’importe quand. Ça se conduit de la même façon, mis à part la différence de compression dans les descentes », déclare Antoine, ancien guide de traîneau à chiens et patrouilleur à la station de ski du mont Édouard, située à cinq kilomètres de là.

« Même moi, qui suis un gars de moto, je l’adopterais », dit pour sa part Bruno avec un grand sourire. « Mon seul bémol, c’est le manque d’accélération avec le réglage Range [vitesse et accélération réduites]. Je mettrais ça à Sport ou à Wild, mais je mangerais vite ma batterie. »

Et le bruit ? Car si les moteurs des engins se taisent au relâchement de l’accélérateur, leurs chenilles émettent tout de même une bonne dose de décibels en roulant. « C’est plus bruyant que je l’imaginais, mais je serais curieux de savoir si les propriétaires de chalets nous ont entendus passer comme on peut entendre les motoneiges à essence au loin », s’interroge Graham.

Clientèle verte

PHOTO ANDRÉ LAROCHE, COLLABORATION SPÉCIALE

Bruno Côté, Andréanne Ouellet, Antoine Provost, Graham Park et Valya Galadza ont fait une balade jusqu’au quai de Petit-Saguenay. Andréanne Ouellet est guide et propriétaire de Saguenay Aventures.

C’est précisément pour ces amateurs de plein air, nullement entichés par le bruit et les gaz d’échappement, que l’entreprise Saguenay Aventures s’est procuré l’an dernier trois motoneiges électriques de marque Taiga, conçues et construites au Québec. Elle s’en sert pour offrir des excursions guidées d’une demi-journée aux abords du fjord.

« Cela nous permet de faire découvrir le territoire à une clientèle différente », explique la guide Andréanne Ouellet, propriétaire de l’entreprise, qui a amorcé une démarche de décarbonation de ses activités.

C’est le premier produit touristique qu’on peut offrir avec cette technologie [motoneige électrique]. Mais à l’usage, nous nous rendons compte des possibilités de combiner ce genre de motoneige à d’autres activités en plein air, comme la pêche sur glace, le traîneau à chiens ou des sports de glisse. Leur atout, c’est de rendre le territoire accessible de manière responsable.

Andréanne Ouellet, propriétaire de Saguenay Aventures

Utiliser la motoneige électrique comme un moyen de déplacement entre des points d’attraction, et non comme un équipement sportif, fait aussi partie de la stratégie de la marque québécoise Ski-Doo. Elle a conçu un produit touristique baptisé Expériences BRP, exclusif aux voyagistes en Europe et en Amérique du Nord.

PHOTO FOURNIE PAR BRP

La société BRP offre Expériences BRP pour faire découvrir ses motoneiges électriques.

« Le leitmotiv de la marque, c’est l’interprétation de la nature », explique Pierre Challier, président de l’entreprise Nord Expe, située à Sainte-Brigitte-de-Laval et à La Malbaie. Avec ses sept motoneiges Ski-Doo, il offre aux touristes des excursions de 30 km en deux heures. « Une durée qui leur convient tout à fait, selon ce qu’ils nous disent », ajoute-t-il.

« Ces motoneiges sont parfaites pour une initiation. Elles sont silencieuses, agiles et légères, et leur vitesse est limitée à 40 km/h pour les clients. Elles sont idéales pour se rendre à des lieux d’observation de la faune, de la flore ou de la géologie », affirme M. Challier.

Ce type de motoneige séduit une clientèle différente, soucieuse de l’environnement, confirme-t-il. « Nous avons découvert que 75 % de nos clients sont aussi propriétaires d’un autre véhicule électrique. Bref, ils sont déjà convaincus [des bienfaits] de cette énergie-là. »

En attente d’un réseau

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L’entreprise Saguenay Aventures s’est procuré l’an dernier trois motoneiges électriques de marque Taiga, conçues et construites au Québec.

« C’est l’avenir », affirme Stéphane Desroches, directeur général de la Fédération des clubs de motoneigistes du Québec (FCMQ), convaincu que ses membres n’attendent qu’un véritable réseau de bornes de recharge et une meilleure autonomie des batteries pour prendre eux aussi le virage électrique.

Un voyageur typique veut pouvoir rouler 250 km pour ensuite manger et dormir dans une bonne auberge. S’il peut recharger sa batterie pendant la nuit, il n’hésitera pas à s’acheter une motoneige électrique.

Stéphane Desroches, directeur général de la Fédération des clubs de motoneigistes du Québec

La construction d’un réseau de bornes de recharge, adapté à la pratique de la motoneige, constitue cependant un défi technologique et financier particulier, rappelle M. Desroches.

« La motoneige est un sport qui se pratique en groupe. Un relais ne peut donc pas se contenter d’avoir seulement deux bornes de recharge pour accueillir un groupe de six motoneigistes qui voudraient recharger leurs batteries pendant un repas. »

De plus, plusieurs pourvoiries en région éloignée ne sont pas branchées au réseau d’Hydro-Québec. Un grand nombre d’entre elles produisent leur électricité avec un groupe électrogène au diesel, ou encore simplement avec des panneaux solaires pour les besoins des chalets.

« Il est certain qu’il sera plus facile de créer des réseaux dans des régions comme les Laurentides. L’avenir est très prometteur, mais il faudra attendre au moins une dizaine d’années avant que cela se concrétise », dit le directeur général de la FCMQ en croisant les doigts. « La technologie peut changer tellement vite. »