Il y a un grand paradoxe dans l’hiver. Pour profiter de ses avantages, comme le ski ou la raquette, il faut généralement une voiture. Mais voilà, les mois les plus froids sont justement ceux où les bagnoles refusent de démarrer. Pourquoi donc ?

Il y a un grand paradoxe dans l’hiver. Pour profiter de ses avantages, comme le ski ou la raquette, il faut généralement une voiture. Mais voilà, les mois les plus froids sont justement ceux où les bagnoles refusent de démarrer. Pourquoi donc ?

Les temps sibériens peuvent bien sûr agir sur plusieurs parties d’une automobile. Nous nous concentrerons ici sur la batterie, car c’est souvent elle qui flanche lorsque le pôle Nord descend sur nous. Son rôle est crucial : sans le courant électrique que la batterie est censée produire, le moteur n’a pas l’étincelle qu’il lui faut pour démarrer. Commençons donc par examiner son fonctionnement.

Un « courant électrique », c’est le passage d’électrons dans un matériau. Ces électrons sont un composant important des atomes. Porteurs d’une charge électrique négative, ils circulent autour du noyau atomique, lui-même constitué de protons (chargés positivement) et de neutrons.

Dans les voitures, le courant est souvent généré par une batterie de piles plomb-acide. Cette batterie est faite de six petits bassins remplis d’eau et d’acide sulfurique. Par commodité, nous en parlerons ici comme s’il s’agissait d’un seul contenant.

L’acide sulfurique est une molécule assez simple, explique le physicien américain Louis Bloomfield dans son ouvrage How Everything Works. Il s’agit un assemblage de deux atomes d’hydrogène (H), un de soufre (S) et quatre d’oxygène (O) — d’où sa formule, H2SO4. Mélangé à l’eau, il se dissout : ses deux atomes d’hydrogène quittent la partie sulfate (SO4), mais lui laissent chacun un électron au passage. Le sulfate prend alors une charge négative double (deux électrons de plus qu’il n’a de protons), tandis que les hydrogènes sont chargés positivement.

La pile est complétée par deux tiges métalliques, appelées électrodes, qui sont plongées dans cette « soupe chimique ». L’une est en plomb (Pb), l’autre en dioxyde de plomb (PbO2).

Voilà donc le décor du grand ballet électrochimique qui se met en branle lorsque vous tournez la clef. En effet, dans l’électrode de plomb, les atomes sont tentés de s’allier au sulfate. Mais pour ce faire, chacun d’eux doit délaisser deux électrons, puisque le sulfate en a déjà deux « en trop ». Une fois largué par le plomb, ce couple d’électrons remonte le long de la tige, passe dans un fil, donne du courant pour l’ignition du moteur, puis emprunte un autre fil pour revenir vers la seconde électrode.

Pour cette dernière, cependant, ces nouveaux arrivants sont un peu gênants, car ils lui donnent une charge négative. Pour s’en débarrasser, le PbO2 réagira avec un sulfate (doublement négatif) et quatre hydrogènes positifs. Cela donnera deux molécules d’eau (H2O, électriquement neutre) et un sulfate de plomb (PbSO4, neutre aussi), qui se fixera à l’électrode.

Au total, donc, la solution acide aura perdu quatre charges positives (les hydrogènes), mais seulement deux charges négatives (le SO4). Pour rétablir son équilibre électrique, elle se tournera vers la première électrode (en plomb), lui donnant un autre sulfate doublement négatif. Pour l’accepter, le plomb devra de nouveau se débarrasser de deux électrons, qui parcourront à leur tour le circuit électrique de la voiture. Et tout le manège recommencera.

Quand le froid s’en mêle

Toutefois, en hiver, un temps particulièrement froid peut ralentir ce processus de deux façons, explique Louis Roué, professeur d’électrochimie à l’Institut national de recherche scientifique. Primo, un corps froid contient par définition moins d’énergie qu’un corps chaud. Or, pour former des liens chimiques, les atomes requièrent justement de l’énergie — et par grands froids, notre mélange d’eau et d’acide sulfurique en recèle moins.

Secundo, dans n’importe quel matériau, le froid réduit le mouvement des molécules. Le beurre en est un bel exemple. Au fond de la poêle, il fond. Ses molécules sont alors libres de s’écouler là où la gravité les entraîne. Mais à mesure que la chaleur diminue, le beurre devient visqueux, puis solide : ses molécules bougent avec moins d’aisance.

Appliqué à notre batterie d’auto, ce principe signifie que la solution acide offrira plus de résistance aux atomes et aux molécules qui veulent s’assembler. Pour joindre l’électrode de plomb, par exemple, le sulfate devra traverser un milieu où le mouvement est plus ardu, ce qui ralentira davantage les réactions

chimiques.