« Ça te fait quoi, de voir les morts ? »

Tout au long de la pièce 5 balles dans la tête, le personnage de la romancière et professeure de cégep pose cette question à des soldats canadiens. Or, tous les militaires, éprouvés depuis leur retour de mission en Afghanistan, détournent habilement la question. Et répondent par des chiffres ou des anecdotes sur leur dure expérience sur le terrain.

Performance de comédienne

Se qualifiant d’antimilitariste, l’alter ego de l’autrice Roxanne Bouchard décidera malgré tout d’écrire un livre avec leurs récits de guerre au début des années 2000. Elle constate qu’ils sont tous revenus au pays avec de douloureux souvenirs et traumatismes. Et qu’ils ont une autre question : est-ce que cette guerre pour lutter contre le régime taliban a servi à quelque chose ?

La pièce s’ouvre avec l’autrice, formidablement interprétée par Sylvie De Morais, qui donne un cours au public sur les biais et les stéréotypes en littérature.

La première chose qu’on doit clarifier en construisant un personnage, dit-elle, ce sont ses motivations.

PHOTO DAVID OSPINA, FOURNIE PAR LA LICORNE

Maxim Gaudette ainsi que Sylvie De Morais, dans le rôle de la romancière et professeure de cégep, l’alter ego de l’autrice Roxanne Bouchard

Un préambule pour mieux plonger dans le cœur de la pièce, lorsque la femme va prendre une bière avec trois ex-fantassins pour recueillir leurs témoignages (Frédéric Millaire Zouvi, Éric Robidoux, Joakim Robillard, survoltés !). Le contraste entre l’intellectuelle au calepin, vêtue de rouge et de mauve, et ces trois mâles alpha est probant. Il y a un fossé énorme entre ses deux univers. Le reste de la pièce viendra le combler.

La guerre des autres

Alors que l’autrice en apprend plus sur la réalité de ces ingénieurs, soldats des blindés, fantassins, pilotes et assistants médicaux, le public réfléchit en même temps à ses opinions sur ces enjeux. On comprend mieux pourquoi ces jeunes choisissent d’entrer dans les forces armées. D’ailleurs, est-ce vraiment un choix ? Il est rare qu’on voie des fils et filles de riches familles d’Outremont ou de Westmount partir au front à 20 ans. On voit plus souvent des jeunes perdus, sans argent ni avenir ; comme cette jeune femme de la Côte-Nord (Lou Vincent-Desrosiers, très émouvante) qui a coché une case et s’est retrouvée dans les blindés... quelques mois plus tard.

PHOTO DAVID OSPINA, FOURNIE PAR LA LICORNE

Éric Robidoux et Frédéric Millaire Zouvi dans l’excellente production de 5 balles dans la tête

Le théâtre sert parfois à ça, explorer les failles, les injustices de la nature humaine, pour nous rendre plus ouverts aux réalités des autres. Et 5 balles dans la tête le fait admirablement bien, grâce au jeu des acteurs et à la mise en scène sensible de François Bernier.

Le texte de Roxanne Bouchard pose des questions essentielles sur l’échange des opinions contraires.

Sur ces rencontres qu’il faut provoquer dans la vie pour évoluer et ne pas rester sur place. Et sur l’empathie nécessaire pour vivre ensemble sur notre furieuse planète.

« D’antimilitariste, je suis devenue profondément pacifiste », écrit Roxanne Bouchard dans son mot au programme. Et sa pièce nous transforme aussi. Car elle brise avec éclat le (quatrième) mur du silence.

Consultez la page du théâtre de La Licorne
5 balles dans la tête : récits de guerre

5 balles dans la tête : récits de guerre

De Roxanne Bouchard

Mise en scène : François Bernier. Avec Philippe Cousineau, Sylvie De Morais, Maxim Gaudette, Frédéric Millaire Zouvi, Éric Robidoux, Joakim Robillard, Lou Vincent-Desrosiers, Éric Vega.

La Licorne, Jusqu’au 6 avril

8/10