Pour la quatrième fois de sa riche histoire, le Théâtre du Nouveau Monde accueille en ses murs Le misanthrope, pièce phare de Molière. Et une chose est certaine : cette production décoiffante ne fera pas consensus comme l’ont fait ses devancières.

Le metteur en scène Florent Siaud a choisi de souligner à (très) gros traits le caractère comique de ce texte sur l’hypocrisie du monde. Audacieux ? Certes. Drôle ? Que oui. On ne peut s’empêcher de s’esclaffer devant l’humour vaudevillesque déployé ici et le ridicule de certains personnages (l’Oronte de Dany Boudreault est délirant ; Évelyne Rompré nous offre une Arsinoé complètement névrosée).

Ceux qui espèrent trouver ici un objet théâtral nuancé et tout en finesse devront passer leur chemin. Car Siaud, qui a signé sur ces mêmes planches un Britannicus magique en 2019, ne s’est pas limité à donner quelques coups de balai au Misanthrope ; il lui a fait un équarrissage à la tronçonneuse.

Les acteurs, tous flamboyants au possible, disparaissent dans les fentes du sofa (littéralement), se versent des bols de pâtes sur la tête ou se couvrent le visage de peinture brunâtre censée représenter la bile noire qui brouille l’âme d’Alceste.

PHOTO YVES RENAUD FOURNIE PAR LE THÉÂTRE DU NOUVEAU MONDE

La pièce est plantée dans le décor d’un appartement luxueux du XXIe siècle.

Le personnage central de la pièce, interprété par le toujours énergique Francis Ducharme, est un homme à qui la compromission répugne et qui voudrait qu’en toutes choses, ses semblables soient totalement honnêtes. Or, pareille posture était impossible au XVIIe siècle comme elle l’est encore de nos jours. En disant ses quatre vérités à tout un chacun, Alceste se met constamment les pieds dans le plat.

Le paradoxe, pour le pauvre Alceste, c’est qu’il est amoureux fou d’une coquette médisante et peu fidèle du nom de Célimène (Alice Pascual). Cette dernière est entourée de galants, ce qui plonge Alceste dans un grand désespoir. Il n’y a que son fidèle ami, le doux Philinte (Alex Bergeron), pour lui faire entendre raison. Et encore.

Chanter l’alexandrin

Tous les interprètes, il faut le souligner, manient l’alexandrin avec une grande justesse. Chez Florent Siaud, les vers rimés ne sentent pas la poussière, au contraire. Ils sont modernes, punchés. Ils ne sont pas sagement récités : ils sont lancés, chantés (oui, oui) ou découpés en petits morceaux pour être mieux savourés.

Toutefois, l’humour quasi absurde dans lequel baigne ce Misanthrope oblitère la critique sociale que Molière faisait de son époque et de tous ces gens de la cour capables de s’embrasser avant de se planter des poignards dans le dos. On rit ici beaucoup, mais on réfléchit moins à ce que Molière voulait dénoncer jadis et à la pertinence actuelle du texte en cette ère où la conversation avec l’autre est de plus en plus ardue.

Bref, il y a du bon et du moins réussi dans ce spectacle campé dans le décor immaculé d’un appartement luxueux du XXIe siècle. Et les opinions des spectateurs risquent d’être très tranchées.

On prédit déjà des coups de bile de la part des puristes, qui auront envie de déchirer leurs exemplaires de la Pléiade devant cette production non conformiste. Toutefois, ceux qui accepteront la proposition de Florent Siaud ont tout intérêt à ne pas bouder leur plaisir. Car le rire est salvateur dans cette période sombre qui est la nôtre. Surtout en janvier.

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Le misanthrope

Le misanthrope

De Molière, mise en scène Florent Siaud. Avec notamment Francis Ducharme, Alice Pascual, Alex Bergeron, Dany Boudreault, Évelyne Rompré.

Théâtre du Nouveau Monde, Jusqu’au 11 février puis en tournée au Québec.

7/10